Avec 7 % des naissances vivantes avant 37 SA en France, l’incidence de la prématurité ne diminue pas, cependant sa mortalité diminue. Ainsi, la survie sans morbidité sévère est passée de 2 à 21 % entre 1997 et 2017 pour la très grande prématurité à 24 SA ; elle est de 77 % à 28 SA et de 88 % à 31 SA.
Avant 37 SA, environ 20 % des enfants sont hospitalisés en réanimation. L’alimentation est alors primordiale pour leur santé et leur développement à court et à long terme. Si le lait maternel présente de multiples bénéfices pour l’enfant né à terme (lire XX), ceux-ci sont encore bien plus importants chez le prématuré et ce, avec un effet dose. Ainsi, en plus de ses avantages connus au terme, le lait maternel diminue très significativement toutes les complications spécifiques de la prématurité : entérocolite nécrosante (ECUN), infection tardive, dysplasie bronchopulmonaire, rétinopathie ; il améliore la santé cardiovasculaire et métabolique (obésité, HTA, profil lipoprotéique à l’adolescence, diabète insulinodépendant), le lien mère-enfant, et le développement cognitif (+ 10 points à 30 mois, vs. + 3 pour l’enfant né à terme).
Un accompagnement adéquat
Il est tout à fait possible d’allaiter un enfant prématuré, un message qu’il est important de faire passer aux femmes dès la grossesse. Il faudra pour cela bien maîtriser le tire-lait (facilité d’accès à la maternité, avec des téterelles adaptées, des explications adéquates, l’intimité nécessaire), et respecter cinq points clés pour soutenir la mise en place de l’allaitement : tirer le lait le plus précocement possible (< 6 h), plus de 6 à 8 fois par jour (plus souvent si le volume est faible), environ 10 à 15 minutes à chaque fois (à adapter selon les femmes), après un massage aréolaire et des seins (surtout les 3 premiers jours) et tirer les deux seins en même temps. L’objectif est d’atteindre 500 mL/j dès 2 à 3 semaines. Les besoins de l’enfant prématuré sont de 160 à 200 mL/kg/j, soit environ 400 mL/j à la sortie.
Malgré tout, il existe de nombreuses situations où la production maternelle est insuffisante pour subvenir aux besoins de l’enfant prématuré, le stress jouant un rôle important dans ce contexte, mais aussi les recommandations inadéquates de contre-indications médicamenteuses, en réalité moins nombreuses qu’on ne pourrait le croire à la lecture des RCP (1).
Les recommandations européennes et mondiales considèrent que, à défaut du lait de sa propre mère, le prématuré devrait être alimenté avec du lait de donneuse, avec quasiment les mêmes bénéfices, par comparaison au lait maternisé.
Un enfant né avant 26 SA consommera en moyenne 32 L de lait au cours de son hospitalisation, 18 L à 29 SA et 12 L à 31 SA… Soit environ 150 000 L par an en France. « On prescrit du lait maternel de don jusqu’à 1,5 kg en raison de sa faible disponibilité, mais on souhaiterait augmenter nos capacités, actuellement d’environ 80 000 L en France (contre seulement 5 000 L en Suède !), et pouvoir poursuivre jusqu’aux 1,8 kg de l’enfant », explique le Pr Jean-Charles Picaud, pédiatre, chef du service de néonatologie et de réanimation néonatale (Lyon) et président de l’association des lactariums de France (2).
Une organisation unique au monde
Le lait de femme — qu’il provienne de don ou qu’il ait été pasteurisé pour usage de la mère à son enfant — a un statut de produit de santé (ANSM), avec de lourdes contraintes techniques et réglementaires, tant pour assurer sa sécurité microbiologique que pour préserver ses qualités. Le recrutement des donneuses, la collecte et la distribution sont assurés par 34 lactariums (dont 15 à usage uniquement interne), sous l’égide du ministère de la santé, qui renouvelle leurs autorisations tous les 5 ans. Le lactarium de Marmande est le seul à pouvoir lyophiliser le lait, ce qui permet de le distribuer dans certains DOM-TOM et de constituer des stocks pour faire face aux crises. Toutes ces structures assurent par ailleurs la promotion de l’allaitement et le soutien aux mères d’enfant prématurés.
Les recommandations de fonctionnement des lactariums HAS 2008 ont été révisées, elles seront publiées prochainement. La répartition territoriale devrait être revue, certaines zones étant sous-dotées, notamment tout le sud-est de la France, qui n’est couvert que par Lyon et Montpellier, avec des tournées de collecte par conséquent très étendues. Une plateforme de gestion des stocks au niveau national devrait être créée.
Les donneuses font l’objet de contrôles sérologiques et doivent suivre une procédure d’hygiène plus stricte que lors d’un usage domestique du tire-lait (lavage préalable des seins et des mains, stérilisation du matériel après chaque usage). 18 % du lait est rejeté avant pasteurisation, pour raisons microbiologiques essentiellement. Le don était limité à 6 mois d’allaitement mais ces délais devraient être prolongés à un an voire davantage. Qu’il soit issu de la mère ou de don, le lait fait l’objet d’une supplémentation adaptée à l’âge gestationnel.
Pour recruter les donneuses, chaque lactarium organise une promotion locale, mais le soutien ministériel fait défaut : « nous voudrions organiser des campagnes nationales, comme cela se fait pour la transfusion, pour que la population comprenne les bénéfices santé du don de lait pour les prématurés et se mobilise en conséquence », souligne le Pr Picaud.
D’autres indications du lait maternel existent, pour l’enfant à terme (avec des systèmes payants aux États-Unis par exemple), pour certaines pathologies digestives et cardiaques, voire chez l’adulte (cancer, transplantations…) mais, dans un contexte de pénurie, le Pr Picaud insiste pour qu’il soit réservé à ceux qui en bénéficient le plus, à savoir les prématurés.
Exergue : Il est tout à fait possible d’allaiter un enfant prématuré
D’après une conférence organisée par le Snitem (1) Voir www.lecrat.fr (2) association-des-lactariums-de-france.fr
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