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Dossier

EASD 2022

Le prédiabète sur la sellette

Par Hélène Joubert - Publié le 10/10/2022
Le prédiabète sur la sellette


VOISIN/PHANIE

La prévention du diabète et de ses complications a constitué une large part des interventions du dernier congrès européen de diabétologie (Stockholm, 19 au 23 septembre 2022). Avec, notamment, plusieurs communications dédiées au prédiabète, qui concernerait près de 10 % de la population mondiale. Si de plus en plus de données montrent que le risque d’évolution vers un diabète est loin d’être négligeable, certaines interventions pourraient permettre de ralentir la progression de l’un à l’autre ou de prévenir très en amont certaines complications.

Longtemps banalisé, le prédiabète inquiète de plus en plus. Selon les chiffres de la Fédération internationale du diabète (IDF) présentés lors du congrès de l’EASD (European Association for the Study of Diabetes), au niveau mondial, 9,1 % des adultes avaient une intolérance au glucose en 2021 et 5,6 % une glycémie à jeun altérée. Et, en 2045, la prévalence mondiale de l’intolérance au glucose devrait atteindre 10 % (640 millions d’individus) et celle de la glycémie à jeun altérée 6,2 % (397 millions), avec des niveaux plus hauts dans les pays à revenu élevé.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, le prédiabète est défini par une hyperglycémie modérée à jeun (glycémie entre 1,10 g/l et 1,25 g/l après un jeûne de 8 heures et vérifiée à deux reprises) et/ou une intolérance au glucose (glycémie comprise entre 1,4 g/l et 1,99 g/l 2 heures après une charge orale de 75 g de glucose). Soit des valeurs n’atteignant pas le seuil diagnostique de diabète, mais associées à une augmentation du risque de progression vers le diabète de type 2.

Du prédiabète au diabète

Une étude danoise très commentée lors du congrès conclut d’ailleurs que, d’ici à 5 ans, une personne sur cinq atteinte de prédiabète devrait évoluer vers le diabète. Les chercheurs se sont penchés sur les volumineuses bases de données des laboratoires de biologie médicale du pays entre 2012 et 2018. « Plus de la moitié de l’ensemble de la nation danoise (5 483 467 résidents danois in fine) a eu au moins une mesure de l’HbA1c enregistrée au cours de cette période, ce qui a permis de définir un taux d’incidence du prédiabète de 15,5 pour 1 000 années-personnes, a expliqué le Pr Sia Kromann Nicolaisen (Aarhus, Danemark) en présentant ces résultats. Au cours du suivi médian de 2,7 ans, 12,5 % ont effectivement développé un diabète, d’où une incidence cumulée du diabète sur 5 ans estimée à 20,1 %. »

Cependant, tous les prédiabètes ne se ressemblent pas et tous n’évoluent pas de façon identique. Des chercheurs chinois ont classé en clusters les 4 138 patients prédiabétiques des études Sensible et Sensible-Addition selon plusieurs paramètres (IMC, âge, triglyceride-glucose index qui estime la résistance à l’insuline, HbA1c) et les ont suivis pendant 3 ans. Sans surprise, « les prédiabétiques avec un âge plus avancé, un degré plus élevé de résistance à l’insuline, plus souvent obèses avaient un risque plus élevé de progression vers le diabète et moins de chance de revenir à la normoglycémie. Ce qui n’est pas le cas des sujets plus jeunes, accordant une attention à leur IMC et ayant une HbA1c plus basse », résume le Dr Yuan Liu (Nanjing, Chine) qui exhorte à la vigilance vis-à-vis des personnes prédiabétiques âgées et cumulant des facteurs de risques métaboliques.

Une place pour la metformine ?

Une autre équipe chinoise s’est intéressée au moyen de ralentir la progression vers un diabète. Leur étude a évalué l’intérêt de mesures hygiéno­diététiques (MHD) associées à la metformine par rapport aux MHD seules auprès de 1 706 individus prédiabétiques, suivis presque 2 ans en moyenne. Les résultats retrouvent une progression vers le diabète significativement retardée dans le groupe MHD + metformine en comparaison aux MHD seules. En 2021, l’American Diabetes Association (ADA) s’était déjà penchée sur les possibilités pharmacologiques à même de réduire l’évolution d’une intolérance au glucose vers un diabète constitué et avait conclu, à l’époque, que la metformine possédait le corpus de preuves le plus solide.

Une fenêtre d’opportunité pour prévenir les complications rétiniennes

Si l’objectif de la prévention du diabète chez les individus prédiabétiques est d’éviter les complications liées à l’hyper­glycémie, en particulier microvasculaires, des chercheurs confirment qu’une prévention précoce de la rétinopathie diabétique serait aussi possible chez les personnes à risque de diabète de type 2 (DT2), en particulier celles en situation d’obésité ou prédiabétiques.

« Les facteurs de risque de rétinopathie diabétique sont associés à des changements neurodégénératifs rétiniens très précoces, ce qui confirme ainsi l’existence d’une fenêtre d’opportunité très en amont des conséquences sur la vision », résume le Pr Frans van der Heide (Maastricht, Pays-Bas).

Les chercheurs ont étudié les associations de facteurs de risque de rétinopathie diabétique avec les changements neurodégénératifs rétiniens en utilisant des données de la cohorte Maastricht (5 666 participants, 50,5 % d’hommes ; âge moyen 59,7 ± 8,7 ans ; 22,6 % atteints de DT2). « Nous avons observé que la plupart des facteurs de risque de rétinopathie diabétique étaient indépendamment associés à des changements neurodégénératifs rétiniens, rapporte le spécialiste. Par conséquent, la prévention précoce de ces facteurs de risque (HbA1c, alimentation, alcool, tabagisme, hypertension artérielle, cholestérol notamment), chez les personnes atteintes de prédiabète ou d’obésité, peut contribuer à la prévention de la rétinopathie diabétique. »

Une seconde étude s’appuyant sur la cohorte de Maastricht concluait que le prédiabète et le diabète ainsi qu’une glycémie plus élevée sont continuellement associés à la neurodégénérescence cornéenne (changements morphologiques précoces des petites fibres nerveuses). Il s’agit de la première étude observationnelle à pointer le fait qu’un métabolisme du glucose plus défavorable et des niveaux de glycémie plus élevés sont associés de manière linéaire et indépendante à la neurodégénérescence de la cornée. Ainsi, la neurodégénérescence cornéenne constitue un processus continu qui commence avant l’apparition du DT2, soulignaient les auteurs, et le prochain objectif est de vérifier si la réduction précoce de l’hyperglycémie serait en mesure de prévenir cette neurodégénérescence cornéenne.