Plus précisément dénommée « polykystose rénale autosomique dominante » (PKRAD), cette maladie génétique rare, à transmission autosomique dominante, affecte en Europe une personne sur 2500. Elle est caractérisée par le développement progressif de kystes dans les deux reins, et une évolution lente vers l’insuffisance rénale. Deux lésions extrarénales sont fréquentes, les kystes du foie (90 % des patients), d’où le terme polykystose hépatorénale, et les anévrismes des artères cérébrales (10 %). En France, la PKRAD résulte d’une mutation du gène PKD1 (78 % des familles), ou de PKD2 (15 %), très rarement de GANAB ou DNAJB11. Le taux de néomutation est estimé à 5 %. Les cystogènes PKD1 et PKD2 codent pour la polycystine-1 et -2 (PC1 et PC2) exprimées dans le cil primaire des cellules tubulaires rénales. Le mécanorécepteur PC1 forme avec PC2 un complexe contrôlant l’AMPc intracellulaire. Les mutations des cystogènes activent des voies de signalisation (dont mTor, MAPK, Wnt et b-caténine) impliquées dans la croissance des kystes (1).
Comment évaluer le risque rénal dans la PKRAD ?
Deux outils sont disponibles pour prédire le risque de progression vers l’insuffisance rénale terminale (IRT). Un score clinico-génétique (PRO-PKD) s’appuie sur des paramètres cliniques simples et l’identification de la mutation dans les familles PKD1/PKD2 : l’âge médian de l’IRT s’établit à 55, 69 ou 77 ans selon que la mutation familiale est PKD1 tronquante, PKD1 non-tronquante ou PKD2 (2). Le recours au score reste limité car l’identification des mutations n’est pas recommandée en routine dans la PKRAD. En revanche, le volume rénal total (VRT), mesuré par IRM ou tomodensitométrie et rapporté à la taille (VRT/t), prédit le risque individuel de progression, après ajustement pour l’âge (3), et est utilisé pour identifier les patients éligibles à un traitement ciblé.
Une polykystose hépatique associée ou isolée
Quant à la polykystose hépatique (PKH), elle est le plus souvent associée à la PKRAD. Plus rarement, elle est isolée, sans kystes rénaux. La PKH isolée est une maladie autosomique dominante très rare (incidence de 1/100 000), impliquant au moins six gènes (PKRCSH, SEC63, LRP5, GANAB, SEC61B et ALG8), dont la pénétrance est faible (4-5). Environ 20 % des patients avec PKH développent une maladie symptomatique. Ce sont en majorité des femmes, de sorte que l’emploi d’estrogènes à visée contraceptive ou substitutive est contre-indiqué dans la PKH modérée ou sévère. La PKH expose à des complications focales (douleur, hémorragie intrakystique ou infection). L’hépatomégalie massive peut donner lieu à une gêne abdominale invalidante (pyrosis, syndrome de petit estomac, troubles du transit) aboutissant à une dénutrition, une ascite réfractaire par obstruction au flux veineux sus-hépatique et une dyspnée d’effort qui altèrent la qualité de vie. La tomodensitométrie injectée est la meilleure imagerie d’évaluation : le volume global du foie (PKH massive si > 3200 ml/mètre de taille) ainsi que l’analyse soigneuse du diamètre et de la diffusion des kystes, de la compression des veines hépatiques, d’une circulation collatérale et d’une ascite sont requis pour individualiser la prise en charge thérapeutique.
Quelle place pour la thérapie spécifique ?
Deux traitements spécifiques ont fait preuve d’efficacité dans la PKRAD, le tolvaptan et les analogues de la somatostatine. Tous deux ciblent la production d’AMPc. Le tolvaptan est un antagoniste spécifique des récepteurs V2 de l’hormone antidiurétique (vasopressine) exprimés dans le tube collecteur du rein. Il augmente immédiatement le débit d’urine. À moyen terme, chez les patients ayant des reins volumineux (VRT > 750 ml) et une fonction rénale diminuée, le tolvaptan ralentit la croissance annuelle du volume rénal, et le déclin de la fonction rénale d’environ 30 % (la perte annuelle diminue de -3,6 à -2,3 ml/min) (6-7). Une hépatite idiosyncratique survient chez 3 % des patients. Les analogues de la somatostatine n’ont pas d’effet rénal, mais ils ont une efficacité établie à court et moyen terme pour bloquer la croissance du volume hépatique (8). Cette option médicamenteuse peut être proposée dans la PKH diffuse invalidante à des malades soigneusement sélectionnés, en alternative aux traitements chirurgicaux (fenestration, résection hépatique ou greffe du foie).
Département de Néphrologie et Transplantation d’Organes, et Centre de Référence Maladies rénales rares, CHU Rangueil, Toulouse
1. Cornec-Le Gall E et al. Lancet 2019, 393 :919-935.
2. Cornec-Le Gall E et al. J Am Soc Nephrol 2016, 27 :942-51.
3. Irazabal MV et al. I. J Am Soc Nephrol 2015, 26 :160-72.
4. Lee-Law PY et al. Curr Opin Gastroenterol 2019, 35 :65-72.
5. Lanktree MB et al. J Am Soc Nephrol 2018, 29 :2593-600
6. Torres VE et al. N Engl J Med 2012 ; 367 :2407-18.
7. Torres VE al. N Engl J Med 2017 ; 377 :1930-42.
8. Van Aerts RMM et al. Gastroenterology 2019 ; 157 : 481-491.
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