Face à une infection, certains individus resteront asymptomatiques, quand d'autres vont développer une forme très sévère de la maladie. Comment expliquer cette variabilité interindividuelle ? Le Pr Jean-Laurent Casanova et Laurent Abel, co-directeurs du laboratoire de génétique humaine des maladies infectieuses à l’Institut Imagine, apportent des éléments de réponse dans « Science », à travers une revue de la littérature incluant 68 études.
« Notre hypothèse de départ a été que cette variabilité est expliquée, au moins en partie, par la réponse immunitaire de l'hôte, raconte Laurent Abel au « Quotidien ». Une mutation dans un gène codant pour l'une des centaines de protéines impliquées dans l'une des multiples étapes de la réponse immunitaire pourrait conduire à une réponse altérée à l'origine de formes plus ou moins sévères de la maladie. »
Une dizaine de gènes identifiés dans l'encéphalite herpétique
Cette hypothèse a d'abord été vérifiée dans l'encéphalite herpétique au début des années 2000. « Cette pathologie est due au virus herpès simplex 1, un virus extrêmement commun qui touche 90 % des individus », rappelle Laurent Abel. La plupart du temps, l'infection reste asymptomatique ou bien se réactive sous la forme de bouton de fièvre chez certains. Mais une minorité de personnes va développer une encéphalite, généralement au cours de la primo-infection qui survient le plus souvent dans l'enfance. « Le Zovirax (aciclovir) a bien amélioré la survie des patients, mais parfois au prix de séquelles importantes », souligne le généticien.
En tentant d'identifier un défaut génétique au niveau de la réponse immunitaire, les chercheurs se sont petit à petit intéressés à la voie des interférons de type 1, ces protéines étant connues pour leur effet antiviral important dans les deux à trois jours suivant l'infection. « Nous avons retrouvé des mutations dans des gènes qui codent pour des molécules qui stimulent la production d'interférons de type 1 en réaction à une infection ou qui sont impliquées dans la réponse à ces interférons, résume Laurent Abel. Une dizaine de gènes mutés ont été identifiés dans l'encéphalite herpétique. »
S'il n'y a pas d'application clinique à ce jour de cette découverte, ces informations génétiques n'en demeurent pas moins utiles. « C'est important notamment pour le conseil génétique familial. Cela permet de dépister en amont des frères ou des sœurs qui pourraient être aussi porteurs de ces mutations, note Laurent Abel. Et pour les patients chez qui l'on a détecté des mutations, cela peut avoir un intérêt thérapeutique en cas de récidive ou d'autres infections virales, comme le Covid. »
Un mécanisme similaire est en effet aussi à l'œuvre dans les formes graves de Covid et dans la grippe sévère qui peut survenir chez des individus pourtant jeunes et en bonne santé. « En explorant certains patients, nous avons aussi identifié des mutations dans différents gènes impliqués dans le circuit des interférons de type 1 qui expliquent ces formes sévères, caractérisées par une réaction inflammatoire très importante au niveau pulmonaire », précise le chercheur. Ainsi, des mutations dans le gène IRF7 ont été identifiées dans le Covid et la grippe, et des anomalies du gène TLR3 sont aussi retrouvées dans ces deux pathologies ainsi que dans l'encéphalite herpétique.
Par ailleurs, « le gène qui est muté le plus fréquemment dans le Covid est le TLR7 lié au chromosome X. Cette mutation atteint donc uniquement les hommes, ce qui explique probablement une partie de l'excès de forme grave de Covid chez les hommes, poursuit Laurent Abel. Ce gène explique à lui seul un peu plus de 1 % des formes graves chez les hommes de moins de 60 ans. »
La présence d'auto-anticorps, un facteur de risque important
Au-delà des mutations génétiques, les chercheurs ont aussi découvert la présence d'auto-anticorps neutralisant les interférons de type 1 chez les patients ayant fait une forme sévère de Covid.
« Les défauts génétiques expliqueraient 3 à 4 % des formes graves de Covid, notamment des patients plutôt jeunes de moins de 60 ans, et les auto-anticorps expliquent de l'ordre de 15 % des formes sévères, plutôt chez les sujets de plus de 60 ans », résume Laurent Abel.
Après leur identification dans le Covid, les auto-anticorps dirigés contre l'interféron de type 1 ont été retrouvés chez certaines personnes pour lesquelles des effets secondaires graves sont survenus après vaccination - avec un vaccin vivant atténué - contre la fièvre jaune. « De façon très rare, de l'ordre d’un cas pour un million, des patients développent une maladie sévère qui ressemble à la fièvre jaune, note Laurent Abel. Nous avons trouvé des auto-anticorps dirigés contre l'interféron dans trois des sept échantillons de patients dont nous disposions. » Des travaux sont en cours dans la grippe sévère notamment pour voir si ces auto-anticorps y jouent également un rôle.
À noter, précise Laurent Abel, que « ces auto-anticorps ont déjà été observés il y a une trentaine d'années notamment chez certaines personnes traitées au long cours par interféron α (pour l’hépatite C par exemple) ou β (pour la sclérose en plaques par exemple) et dans certains contextes auto-immuns comme le lupus. Néanmoins, la présence de ces auto-anticorps n'avait pas été associée à des complications particulières avant l'arrivée du Covid. »
Des perspectives thérapeutiques
Ces découvertes pourraient, à terme, avoir des implications thérapeutiques. « Le fait de donner des interférons à un stade très précoce de l’infection par le Sars-CoV-2, chez des patients en ambulatoire, pourrait avoir un intérêt », avance Laurent Abel.
Toutefois, obtenir le résultat d'un test génétique qui permettrait d'identifier les patients porteurs de mutations prend du temps et complique la mise en œuvre de cette approche. « En revanche, les auto-anticorps sont relativement simples et rapides à détecter. Nous travaillons au développement de tests adaptés en collaboration avec des laboratoires pharmaceutiques dans le cadre d'un projet de recherche hospitalo-universitaire (RHU) [cf. encadré], indique le généticien. L'objectif est de pouvoir tester de façon assez large, en commençant par les personnes les plus âgées, car c'est là que la fréquence des auto-anticorps est la plus importante. » En effet, leur fréquence augmente avec l'âge, et après 65-70 ans, plus de 3 à 4 % des individus en sont porteurs, d'après Laurent Abel.
Il existe 17 types d'interférons de type 1 chez l'homme. « Les auto-anticorps sont en général dirigés contre les interférons α et ω, et non contre les β. Ce qui est intéressant, car il existe déjà un traitement à base d'interféron β qui pourrait donc être donné aux personnes porteuses d’auto-anticorps ne neutralisant pas cet interféron, ajoute Laurent Abel. La connaissance de leur statut face à ces anticorps pourrait ainsi changer leur prise en charge. » Dans le cadre du RHU (nommé Coviferon), une cohorte de patients présentant des auto-anticorps va être constituée, ce qui permettra d'évaluer l'intérêt de l’interféron β chez les personnes infectées.
J.-L. Casanova et al., Science, 2021. doi: 10.1126/science.abj7965
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