Maladies infectieuses : extension du domaine du moustique

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Publié le 03/12/2018
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tigre

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Crédit photo : PHANIE

« De petits changements de température et de précipitation peuvent entraîner de grands changements dans la capacité de transmission d'importantes maladies vectorielles et liées à l'eau », est-il rappelé dans le rapport 2018 du « Lancet » sur la santé et le changement climatique.

Si ce rapport met en exergue l'exemple de deux maladies - la dengue transmise par le moustique et le choléra par l'eau -, « le changement climatique peut affecter toutes les maladies infectieuses dans leur ensemble, y compris en Europe », explique Serge Morand, chercheur CNRS/CIRAD/IRD.

Cela est vrai pour les maladies transmises par le moustique - paludisme et arboviroses (dengue, chikungunya, fièvre jaune, Zika) -, pour d'autres maladies vectorielles (encéphalite à tiques en Russie, maladie de Lyme aux États-Unis et au Canada, hantavirus lié aux rongeurs en Belgique ou dans l'est de la France, leptospiroses en Asie du Sud-Est). Cela est vrai aussi pour les contaminations alimentaires - plus fréquentes lors de fortes chaleurs - et les virus saisonniers. Sans compter un phénomène étonnant, la chaleur semble favoriser l'antibiorésistance, les bactéries se mettant à échanger des plasmides de stress et de résistance à la faveur des hausses de température.

Contexte de mondialisation 

Les maladies vectorielles à arbovirus sont emblématiques de l'impact du climat car « le moustique ne régulant pas sa température intérieure, le lien mécanistique est théoriquement très fort », développe Cyril Caminade, de l'université de Liverpool qui a étudié l'impact de la température sur la capacité vectorielle de l'insecte à transmettre la dengue.

Par rapport aux années 1950, les changements climatiques ont augmenté, dans les années 2010, la capacité vectorielle pour la dengue au niveau mondial de 7,8 % pour A. ægypti et de 9,6 % pour A. albopictus, avec un pic record en 2016 pour les deux vecteurs, est-il rapporté dans « The Lancet ».

La France n'est plus à l'abri des arboviroses. « Le changement climatique avec les hivers très doux a permis au vecteur, le moustique tigre Aedes albopictus, de s'installer dans le sud du pays, de survivre et de remonter vers le nord jusqu'à Paris », explique Serge Morand. Des zones tempérées, comme la Californie ou le sud Méditerranéen se transforment doucement en zones tropicales, fait remarquer Cyril Caminade.

Mais le climat n'explique pas tout à lui seul. « La mondialisation joue un rôle essentiel dans la circulation du vecteur, du pathogène et de l'hôte, poursuit Cyril Caminade. Le moustique tigre voyage par autostop le long des autoroutes dans les voitures. Ses œufs peuvent résister 6 à 12 mois et A. albopictus pond partout, y compris dans les pneus ».

Un climat variable et imprévisible 

L'hôte, infecté lors d'un voyage, ramène le virus à son retour. « Si un moustique tigre pique un cas d'importation de chikungunya ou de dengue, il peut transmettre le virus et entraîner des cas autochtones », poursuit Serge Morand. C'est ainsi que des épidémies de chikungunya ont été observées en Italie et déjà quelques cas autochtones dans le sud de la France. Au Brésil lors de la coupe du monde de football en 2014, l'épidémie de dengue a flambé car, à l'arrivée du pathogène, le vecteur était là et la population n'avait jamais été exposée auparavant.

Plus que l'action directe du réchauffement, il semble que ce soit la variabilité climatique induite par le réchauffement qui affecte la dynamique des maladies infectieuses. « La variabilité liée aux cycles d'oscillations océaniques, habituellement tous les 7 ans, devient plus rapide, plus intense et moins prévisible, explique Serge Morand. C'est le cas pour l'événement El Nino dans le Pacifique qui donne de fortes pluies sur la côte Amérique et un temps sec en Asie du Sud Est (ASE), ou l'événement inverse La Nina. En Europe, ce sont les oscillations Nord Atlantique, qui se traduisent par des hivers doux et pluvieux favorisant les rhumes, ou à l'inverse par des hivers très froids et secs favorisant la grippe. C'est imprévisible, ce qui contraint les systèmes de soins à être toujours en alerte ». 

 

N. Watts et al. The Lancet. http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(18)32594-7

Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du médecin: 9707