À la veille des JO, la recherche sur le muscle investit les stades

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Publié le 05/07/2024
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À l’approche des Jeux olympiques, la recherche sur le muscle impliquant des sportifs de haut niveau connaît un nouveau souffle. L’objectif : mieux comprendre le fonctionnement énergétique du muscle lors de l’effort et optimiser l’entraînement des athlètes.

Crédit photo : BURGER / PHANIE

Depuis plusieurs mois, chercheurs, médecins, entraîneurs et sportifs des Fédérations françaises de cyclisme et d’aviron collaborent au sein du programme Très Haute Performance en cyclisme et en aviron (THPCA) 2024. Ce programme, soutenu par l’Agence nationale de recherche (ANR) en vue des Jeux olympiques (JO) de Paris, se décline en trois axes dont le premier est consacré « à la production d’énergie humaine ».

Enseignant chercheur au laboratoire interuniversitaire de biologie de la motricité à l’université Savoie Mont Blanc, membre de l’Institut universitaire de France et lui-même ancien rameur, Laurent Messonnier mène dans le cadre du THPCA 2024 une étude sur la caractérisation physiologique des athlètes, en vue d’améliorer leurs performances. Il a pu procéder à des biopsies musculaires chez 17 rameurs de haut niveau. Une expérience qui, hors du contexte de la préparation des JO parisiens, aurait été plus compliquée à mettre en place.

« Une biopsie musculaire immobilise l’athlète pendant 24 heures, et la reprise de l’effort doit s’étaler progressivement sur 72 heures, explique le chercheur. Il faut donc convaincre des sportifs qui s’entraînent quotidiennement de l’intérêt à participer à ces travaux. On leur explique que ces données fourniront des éléments de compréhension sur le fonctionnement de leurs muscles, de leurs forces et faiblesses, ce qui permettra d’optimiser l’entraînement. » Autres difficultés : trouver des médecins capables de faire une biopsie sur sujet sain et passer l’étape du comité de protection des personnes.

Les rameurs, des sportifs atypiques

Les prélèvements ont été faits lors des périodes de repos. « Nous voulions comparer les athlètes, explique Laurent Messonnier. Il faut donc qu’ils soient dans un état stable, sans les perturbations métaboliques qui surviennent pendant l’effort ». À partir d’une centaine de milligrammes de tissu musculaire, les équipes ont pu établir les profils énergétiques, les capacités oxydatives et non oxydatives des muscles (métabolisme du lactate) et des mécanismes de régulation du pH. Les chercheurs vont aussi regarder la distribution de différents types de fibres musculaires (I, IIa et IIx) et la comparer à celle des sujets sains, mais non sportifs.

À ce titre, les rameurs sont des sportifs atypiques, qui doivent non seulement être endurants, mais aussi développer une force importante à chaque coup de rame. On parle dans leur cas d’« endurance de force ». Ils présentent une grande proportion de fibres lentes et endurantes (type I) mais développent aussi une hypertrophie musculaire de ces fibres, hypertrophie d’habitude absente dans les sports d’endurance.

Le suivi ne pouvant se fonder uniquement sur des interventions invasives, les chercheurs s’appuient également sur l’analyse des échanges gazeux chez des sportifs (mesure de la consommation maximale d’oxygène et des seuils lactiques) au cours d’une épreuve incrémentale (1) sur un ergomètre stationnaire d’aviron. Le ratio entre production de CO2 et consommation d’oxygène fournit un indice sur le type de substrats énergétiques utilisés, glucides et lipides.

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« Dans ces protocoles, on s'intéresse aux effets des entraînements » précise Frédéric Daussin, de l’unité de recherche pluridisciplinaire sport, santé, société (URePSSS, université de Lille). Par exemple, les scientifiques veulent savoir si la répétition d’un sprint induit des adaptations différentes d’un entraînement plus continu, comme pour les sprinteurs cyclistes sur piste qui enchaînent des successions d’épreuves courtes et très intenses, de l’ordre de 45 secondes. Les recherches menées par les équipes comme celle de Laurent Messonnier doivent leur permettre de mettre au point des stratégies d’entraînement et de récupération pour améliorer leur tolérance à l’acidose.

Récemment, la possibilité de mesurer le lactate via des prélèvements capillaires a ouvert de nouvelles perspectives. « Cela nous renseigne sur la sollicitation de la glycolyse anaérobie, indique Frédéric Daussin. Le but est de trouver le seuil d'accumulation du lactate et de trouver le moyen d’augmenter l’intensité du travail fourni associé à ce seuil. Par exemple, si ce seuil est à 15,5 kilomètres/heure, l'objectif sera de l’atteindre à 16. C’est un des facteurs d’amélioration de la performance », décrit-il.

Ces travaux sont considérés par les entraîneurs comme faisant partie intégrante de la préparation des athlètes

Laurent Messonnier, enseignant chercheur en biologie de la motricité

Le sprint remis en selle par les chercheurs australiens

Mis ensemble, ces travaux ont déjà permis d’identifier différents profils d’athlètes et les défauts à corriger. « Chez certains sportifs, les échanges gazeux trop importants sont liés à une réserve alcaline altérée, illustre Frédéric Daussin. Faute de réserve d’ATP, ces sportifs basculent trop rapidement vers la voie de production d’énergie aérobie, moins puissante. C’est un problème qui peut se corriger. »

Ces diverses approches expérimentales ont aussi fait voler en éclat certaines certitudes. On a longtemps estimé que le sprint n’était pas une bonne chose pour travailler l'endurance. En Australie, l’équipe de David Bishop a comparé trois groupes : l’un bénéficiant d’un entraînement d’intensité moyenne, un autre d’« interval training » (méthode d'entraînement fractionné de haute intensité, c’est-à-dire basée sur la répétition d'exercices intenses entrecoupés de périodes de repos) et un dernier pratiquant des sprints brefs et intenses avec de longues périodes de récupération. « Même un effort très bref et intense induit des améliorations au niveau mitochondrial, plus propice à fournir de l'énergie aérobie utile pour l’endurance, se souvient Frédéric Daussin. Ces résultats ont poussé les entraîneurs à repenser les choses. Il y a maintenant deux grandes stratégies d’entraînement : celle qui vise à augmenter le nombre et la taille des mitochondries et celles qui cherche à améliorer leur productivité. »

Les résultats du programme THPCA ne seront pas publiés avant la fin des Jeux. « Pour l’instant, on a tendance à cacher nos expérimentations, sourit Laurent Messonnier. Ces travaux sont considérés par les entraîneurs comme faisant partie intégrante de la préparation des athlètes. » Le secret est donc de rigueur, au moins jusqu’aux JO.

(1) Un exercice incrémental consiste à augmenter progressivement l’intensité de l’exercice jusqu’à épuisement du sportif


Source : Le Quotidien du Médecin