Parue le 1er avril, une ordonnance aménage les conditions d'exercice des missions des services de santé au travail (SST) dans le contexte d'urgence sanitaire. Elle recentre ainsi « temporairement » l'activité des médecins du travail sur les messages de prévention contre la propagation du Covid-19, « l’appui » aux entreprises dans la mise en œuvre de ces mesures et même leur « accompagnement » (en cas d'adaptation de leur activité).
Le texte introduit surtout deux modifications majeures : pendant la période d'urgence sanitaire, les médecins du travail pourront prescrire et, le cas échéant, renouveler des arrêts de travail en lien avec le Covid-19 ; et ils sont autorisés à procéder à des tests de dépistage de salariés, selon un protocole à arrêter. En conséquence, le reste de leur activité habituelle est en quelque sorte mis entre parenthèses. Les visites médicales de suivi individuel de l'état de santé des travailleurs ainsi que les interventions dans les entreprises peuvent être reportées, sauf avis contraire du médecin du travail.
Effort de guerre, mais avec quelles armes ?
Ces changements ne vont pas de soi et ont laissé dubitatifs les représentants des médecins du travail. Certes, la profession se dit prête à prendre part « à l'effort collectif » dans la guerre contre le virus. Mais les modalités incertaines du dépistage des salariés et des prescriptions d'arrêts interrogent. « Dans le contexte actuel, nous pouvons prescrire des arrêts de travail et réaliser des dépistages. Le tout est de savoir exactement dans quel cadre, objecte le Dr Anne-Michèle Chartier, présidente de la CFE-CGC santé au travail. Il faut surtout que nous le fassions dans de bonnes conditions, c'est-à-dire avec des masques, des surblouses et le matériel de protection nécessaire. »
Pas question d'exposer les professionnels concernés. « Encore récemment, les médecins du travail n'étaient pas sur les listes des pharmaciens qui distribuent les masques, car ils ne sont pas considérés comme prescripteurs par la CPAM », souligne le Dr Françoise Siegel, médecin coordinateur d'Alsace Santé Travail (AST 67), qui suit 240 000 salariés et travailleurs dans une zone particulièrement touchée par le Covid-19.
Déconfinement, reprise et inquiétudes
De nombreux services de santé au travail ont alerté les autorités sur la question des protections, comme l'association Présanse (Prévention, santé, service, entreprise), qui regroupe 240 SST interentreprises. « On se démène pour trouver du matériel, la plupart des services n'en ont pas. Certains ont même donné leurs stocks de masques aux hôpitaux au début de la crise, souligne Martial Brun, son président. Or, sans équipement, cela veut dire potentiellement contaminer des salariés, qui vont être ensuite réinjectés dans leur milieu de travail… » La question de la formation pourrait également se poser pour la réalisation des tests.
De fait, le rôle des médecins du travail devrait être crucial et délicat au moment de la reprise d'activité. « J'ai l'impression que nous serons réquisitionnés pour la sortie du confinement, afin de déterminer qui peut reprendre le travail ou non », analyse le Dr Jean-Michel Sterdyniak, à la tête du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST). Un défi majeur alors que cette organisation n'a pas manqué de dénoncer l’« impréparation à cette pandémie, le manque de moyens humains et matériels, le manque d’organisation sanitaire entre structures publiques, privées, médecins généralistes, de prévention et autres professionnels de santé. »
Protection n'est pas sélection
La question du secret médical est elle aussi posée. « Si les seuls arrêts de travail pouvant être prescrits sont uniquement en cas de suspicion ou d’infection au Covid-19, autant désigner du doigt tout le monde ! », juge le Dr Sterdyniak. Pour le SNPST surtout, la mission fondamentale des SST devra rester la « protection de la santé » et non pas la « sélection » des travailleurs ou encore la « caution » à des conditions de travail dégradées ou à risques.
Quoi qu'il en soit, les services de santé au travail s'attendent à faire face à une activité importante lorsque la vie économique reprendra, dans un contexte anxiogène. « Il y aura une forte demande des employeurs, certains nous réclament déjà des certificats de non-contagiosité, souligne le Dr Françoise Siegel. Nous aurons aussi à faire face à d'autres problèmes, laissés en stand-by pendant la crise. »
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