Un métier en pleine transformation

Publié le 28/04/2023
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En 2023, les enjeux sont multiples pour les médecins généralistes : faire face au défi démographique mais aussi être un acteur de la santé planétaire, pour mieux répondre aux problèmes écologiques et exercer avec des outils numériques.
40 000 décès ont été imputés à la pollution de l’air en 2019

40 000 décès ont été imputés à la pollution de l’air en 2019
Crédit photo : GARO/PHANIE

Le 16e congrès du Collège de médecine générale (CMG) a, pour la première fois, choisi comme thème phare la santé planétaire, une approche centrée sur la caractérisation des liens entre modifications des écosystèmes dues aux activités humaines et conséquences pour la santé. Le Pr Samuel Myers, professeur à Harvard et directeur de la Planetary Health Alliance, souligne ainsi que « les améliorations techniques, qui ont contribué à accroître l’espérance de vie, affectent l’environnement, la biodiversité et il est fondamental de changer nos comportements pour réduire ces impacts si l’on veut préserver la santé humaine dans le futur. »

« Alors que le secteur de la santé est à l’origine de 8 % des gaz à effet de serre, que de nombreuses maladies chroniques sont associées à l’environnement en France et que 40 000 décès ont été imputés à la pollution de l’air en 2019, il y a urgence à agir », complète la Dr Eva Kozub (Tarbes), coordinatrice du groupe santé planétaire du CMG.

Une mutation environnementale

« S’intéresser à la santé planétaire en médecine générale peut commercer par des choses simples », explique la Dr Kozub : « recommander aux patients le contact avec un environnement naturel, expliquer l’importance de consommer moins de viande, et davantage de légumes, car le système alimentaire est à l’origine d’un quart des émissions de gaz à effet de serre. » Au cabinet, la Dr Orianne Moulinier (Lille) a conseillé de partir d’une pathologie ou d’une plainte du patient pour informer ; par exemple discuter de la pollution de l’air intérieur devant une crise d’asthme ou une bronchiolite de l’enfant, aborder les problèmes liés à l’obésité ou aux perturbateurs endocriniens chez une femme enceinte… On pourra aussi expliquer l’impact des consommations médicamenteuses, pour soi-même et la planète. En définitive, l’objectif est de proposer une médecine personnalisée pour sensibiliser les patients à leur environnement. D’autres professionnels de santé vont plus loin, comme l’a fait un collectif de soignants, parmi lesquels des médecins généralistes à Heyrieux (Isère) quittent le cabinet médical pour organiser des conférences, ciné-débats et table rondes, animer des ateliers scolaires, répondre à des interviews auprès de journaux régionaux, avec un retour apparemment positif du public et des élus.

Une étude qualitative réalisée à l’université de Lille par le Dr Anthony Delcambre auprès de 12 médecins généralistes a cependant révélé que certains sont encore peu familiarisés à l’approche de santé planétaire. « La plupart des généralistes interrogés soulignaient l’intérêt de donner aux patients les moyens de protéger leur santé et celle des écosystèmes. Cependant, ils considéraient manquer de connaissances et de compétences en communication pour le faire », cite le Dr Delcambre.

Faire face avec moins

Comment faire face à la crise, notamment démographique, que connaît la médecine générale ? « Des études récentes ont montré l’importance de notre spécialité pour réduire les consultations aux urgences et même abaisser la mortalité », rapporte le Dr Cyril Bègue, président du comité scientifique du congrès. « Pour préserver la tension entre la demande et l’offre de soins, la coercition n’est pas la solution, estime pour sa part le Dr Paul Frappé, président du comité d’organisation du congrès et président du CMG. Ce serait, en effet, un leurre de faire croire aux patients que niveler l’installation de médecins entre régions est une solution, alors que 87 % du territoire français est considéré comme un désert médical », un chiffre couramment cité par Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des professions de santé.

Pour améliorer la situation, il n’y a guère de solution miracle. « Mais on pourrait retirer de la tâche des médecins généralistes ce qui n’a pas de plus-value médicale, comme la rédaction de nombreux certificats, et supprimer les arrêts de travail de moins de trois jours, par exemple pour enfant malade, lombalgie, propose le Dr Frappé. La création d’un guichet de médecins traitants permettrait aussi d’avoir une idée plus juste du nombre de patients qui en cherchent un, et de mieux organiser et répartir l’offre de soins en médecine générale, y compris pour les malades qui ne sont pas en affection longue durée (ALD). »

« Les médecins généralistes qui travaillent avec des assistants médicaux sont, dans l’ensemble, satisfaits et rapportent une amélioration de la qualité de leur travail, poursuit le Dr Frappé. Cependant, des questions se posent sur les critères d’éligibilité pour avoir accès à ce dispositif. S’il accroît le confort d’exercice, il n’est pas certain qu’il augmente tellement l’importance des patientèles, et il faudra veiller à sa pérennité car les médecins ont besoin de sécurité avant d’engager un assistant. »

Par ailleurs, le Collège de médecine générale n’est pas opposé aux transferts de compétences à d’autres professionnels de santé « mais ceux-ci doivent être organisés pour ne pas perturber les parcours de soins pour le patient, avec un rôle bien défini pour chacun. Pour les vaccinations par exemple, la question n’est pas de savoir si un pharmacien peut réaliser le geste en toute sécurité, mais à qui incombe le rôle et, par là, la responsabilité, de s’assurer du suivi du calendrier vaccinal », souligne le Dr Frappé.

Numérique : P4DP démarre

En Belgique, les ordonnances sont numériques depuis des années, et transmises, avec son accord, au pharmacien du patient. Le médecin généraliste peut voir en direct sur son ordinateur, lorsqu’il prescrit, si le médicament est en rupture de stock. En France, même après le Ségur numérique, rien de tel mais des expérimentations ont actuellement lieu sur le territoire pour les ordonnances numériques. « Les médecins sont favorables à une diffusion des services numériques, à la condition que ceux-ci soient faciles à utiliser, compatibles avec les logiciels employés au cabinet », considère le Dr Frappé.

Le platform for data in primary care (P4DP) est un ambitieux projet, qui devrait permettre de mieux suivre les évolutions du métier, gérer des crises sanitaires comme le Covid, améliorer la formation, la recherche, la prévention et la prise en charge en médecine générale. Cette plateforme, développée à l’initiative du Collège national des généralistes enseignants (CNGE) et du Dr David Darmon (Nice), propose en effet un recueil des données de santé en médecine générale, « ce qui permettra d’avoir un tableau de bord en direct de ce qui se passe dans les cabinets de consultation », précise le Dr Frappé. Jusque-là, on ne disposait pour analyser l’état de santé de la population que des bases de données de l’Assurance-maladie, fondées sur le remboursement des consultations et des traitements. Cette plateforme, qui dispose d’une enveloppe financière conséquente, devrait recruter 2 000 médecins sur trois ans, de 2023 à 2025. Après une phase test positive sur des milliers de consultations généralistes, son déploiement est en cours.

Exergue : « on pourrait retirer de nos tâches ce qui n’a pas de plus-value médicale »

Sessions d’ouverture, de clôture, « Le numérique au service de la santé », « Acting on planetary health : co-benefits in general practice », « Restitution la santé planétaire au firmament », « Exercice professionnel de demain »

Dr Corinne Tutin

Source : Le Quotidien du médecin