Oreilles de surfeurs

Ce qu’il faut savoir sur les exostoses du conduit auditif externe

Publié le 15/09/2010
Article réservé aux abonnés
1287495162178984_IMG_42679_HR.jpg

1287495162178984_IMG_42679_HR.jpg

1287495162178983_IMG_42678_HR.jpg

1287495162178983_IMG_42678_HR.jpg

Prévalence

Chez les surfeurs qui pratiquent régulièrement, la prévalence des exostoses est supérieure à 50 % (Hurst et al., 2004). La prévalence mais aussi la sévérité des exostoses, c’est-à-dire le degré d’obstruction du conduit auditif externe, augmentent parallèlement avec la durée de la pratique. Les exostoses sont fréquentes également chez les plongeurs aussi bien en scaphandre qu’en apnée (Ito and Ikeda, 1998) ; (Sheard and Doherty, 2008). Leur sévérité est là encore liée à la durée de la pratique et à la température de l’eau. Les nageurs et les kayakistes ne sont pas non plus épargnés (Cooper et al.).

Bien qu’il s’agisse d’une pathologie bénigne, les exostoses peuvent, en cas de complications, compromettre la pratique d’activités de loisirs et gâcher notablement des vacances en bord de mer, mais également causer l’interruption d’activités professionnelles liées aux activités nautiques.

Diagnostic différentiel

Il n’est pas toujours facile de différencier les exostoses d’anomalies constitutionnelles du conduit auditif. On peut observer chez certains patients une voussure très saillante de la paroi antérieure ou inférieure du conduit osseux venant masquer en grande partie la membrane tympanique. Mais à la différence des exostoses, ces anomalies constitutionnelles ne sont pas évolutives et n’imposent donc aucun traitement. Ces exostoses doivent être également distinguées d’autres pathologies osseuses du conduit auditif externe. L’ostéome est une entité clinique et anatomopathologique différente mais dont le terme est parfois utilisé à tort pour nommer les exostoses. L’ostéome est généralement solitaire, plus volumineux situé au niveau de la partie latérale du conduit osseux. Beaucoup plus rarement il peut s’agir de tumeurs osseuses du conduit auditif externe d’une autre nature.

Le rôle de l’eau froide

L’apparition des exostoses semble principalement déterminée par des facteurs extrinsèques. L’exposition à l’eau froide est le facteur principal. L’ensemble des études cliniques et expérimentales confirme ce fait. Les études anthropologiques montrent également que les exostoses ne sont décrites qu’à certaines latitudes et que leur présence est directement liée à la proximité de l’eau. Pour ces raisons, les exostoses du conduit auditif externe sont devenues des marqueurs anthropologiques d’activité aquatique (Okumura et al., 2007). L’hypothèse pathogénique retenue est une stimulation du périoste par l’eau froide. Cette stimulation thermique est d’autant plus facile que le périoste du conduit osseux n’est protégé que par une très mince couche de peau. La stimulation du périoste induirait une production d’os et d’exostoses. L’irritation mécanique de l’eau ainsi que l’exposition aux vents froids ont également été incriminées. Ces cofacteurs rendraient compte de la sévérité particulière des exostoses chez les surfeurs ainsi que du caractère fréquemment asymétrique de l’atteinte. En effet, les surfeurs sont particulièrement exposés aux turbulences des vagues et au vent. La position asymétrique sur la planche de surf expose plus aux intempéries une oreille que l’autre.

Une des caractéristiques des exostoses est leur évolutivité tant que l’exposition à l’eau froide persiste. Cela a d’importantes implications pour la prévention primaire mais aussi secondaire après traitement chirurgical. De manière exceptionnelle les exostoses peuvent être observées sans aucune exposition à l’eau. On peut alors évoquer des facteurs génétiques.

Clinique

La plupart des exostoses sont de petite taille et n’entraînent aucun symptôme. Elles sont souvent découvertes fortuitement lors d’un examen otoscopique de l’oreille. Mais l’augmentation de taille des exostoses liée aux activités nautiques va progressivement obstruer la lumière du conduit auditif externe. Le premier symptôme ressenti est la sensation d’eau bloquée dans le conduit auditif externe. Ces épisodes de rétention se multiplient et peuvent aboutir à des otites externes récidivantes. Enfin l’obstruction complète du conduit auditif peut entraîner une hypoacousie de transmission uni ou bilatérale particulièrement handicapante.

Prise en charge

En cas de symptôme, le traitement initial est médical avec des soins locaux : micro-aspiration sous microscope, traitements par gouttes antibiocorticoïdes. Ce traitement médical doit être associé à un traitement préventif et l’utilisation de bouchons de protection.

Le traitement chirurgical peut devenir nécessaire en cas de récidive des symptômes malgré un traitement préventif et médical bien conduit (Portmann et al., 1991). L’exérèse des exostoses peut être également nécessaire lors de l’abord chirurgical de l’oreille moyenne pour une tympanoplastie, ou pour permettre l’adaptation d’appareils auditifs. La chirurgie des exostoses est une chirurgie apparemment facile mais qui peut engendrer des complications : retard de cicatrisation notamment, développement de sténoses pouvant obstruer le conduit auditif externe, perforation de la membrane tympanique, acouphènes, otalgies (Bordure et al., 1994). La technique d’exérèse minimale invasive à l’ostéotome semble prometteuse avec une cicatrisation rapide et un faible taux de complication (Hetzler, 2007). Les soins après l’opération sont très importants et doivent durer le temps nécessaire à une bonne cicatrisation. La reprise des activités nautiques est possible dès cicatrisation complète. L’utilisation de bouchons de protection est conseillée pour éviter la récidive.

Bouchons

Le traitement préventif est à privilégier. Bien qu’il n’y ait pas encore de preuve scientifique formelle, l’utilisation de bouchons de protection est recommandée chez les pratiquants réguliers d’activités nautiques : surfeur, kayakiste, nageur. Le problème est plus complexe chez les plongeurs qui ne peuvent pas utiliser de bouchons compte tenu des variations pressionnées. De nombreux types de bouchons existent sur le marché dans cette indication.

En conclusion les exostoses du conduit auditif externe ont une incidence croissante compte tenu de l’attrait des sports nautiques. La prévention est importante pour éviter un traitement chirurgical. Elle repose d’abord sur l’information des pratiquants au niveau individuel mais aussi au niveau des fédérations. L’utilisation de bouchons étanches devrait permettre de limiter l’incidence et la sévérité de cette pathologie chez les pratiquants réguliers. On peut donc conseiller à tous ces sportifs : tous à vos bouchons… d’oreille !

Références

Bordure P., Legent F., Runner O., and Sené J. M. (1994). Risques de la chirurgie des exostoses du conduit auditif externe, « J. Fr. Otolaryngol », 43, 336-340.

Cooper A., Tong R., Neil R., Owens D., and Tomkinson A. External auditory canal exostoses in white water kayakers, « British journal of sports medicine », 44, 144-147.

Hetzler D. G. (2 007). Osteotome technique for removal of symptomatic ear canal exostoses, « The Laryngoscope », 117, 1-14.

Hurst W., Bailey M., and Hurst B. (2 004). Prevalence of external auditory canal exostoses in Australian surfboard riders, « The Journal of laryngology and otology », 118, 348-351.

Ito M. and Ikeda M. (1 998). Does cold water truly promote diver’s ear ?, « Undersea Hyperb Med », 25, 59-62.

Okumura M. M., Boyadjian C. H., and Eggers S. (2 007). Auditory exostoses as an aquatic activity marker : a comparison of coastal and inland skeletal remains from tropical and subtropical regions of Brazil, « American journal of physical anthropology » 132, 558-567.

Portmann D., Rodrigues E., Herman D., Lacher G., Bebear J. P., and Portmann M. (1 991). Exostoses du conduit autiditif externe : aspects cliniques et thérapeutiques. « Revue de laryngologie - otologie - rhinologie », 112, 231-235.

Sheard P. W., and Doherty M. (2 008). Prevalence and severity of external auditory exostoses in breath-hold divers, « The Journal of laryngology and otology », 122, 1162-1167.

 Pr PHILIPPE BORDURE Drs OLIVIER MALARD ET FLORENT ESPITALIER Service ORL et chirurgie cervico-faciale. CHRU Nantes

Source : Le Quotidien du Médecin: 8815