La question des violences conjugales est un sujet à l’ordre du jour depuis une quinzaine d’années et on ne peut que se réjouir des différentes mesures mises en place pour les femmes qui en sont victimes. « Cependant, on observe désormais un glissement de la terminologie de "violences conjugale" vers celle de "violences intrafamiliales", dans laquelle sont englobées la mère – le plus souvent – et les enfants. Les violences conjugales, dont sont victimes les femmes et les enfants, sont confondues sous cette même terminologie. Cela pose un problème sémantique car, à hauteur d’enfant, les violences intrafamiliales s’étendent à tous les autres types de violences et de négligences : des violences sexuelles, physiques, des négligences, des violences psychologiques, des violences éducatives ordinaires », insiste la Pr Martine Balençon, pédiatre et médecin légiste (CHU de Caen), présidente de la Société française de pédiatrie médico-légale (SFPML). Un problème, donc, beaucoup plus général.
Une violence peut en cacher une autre
De 10 à 15 % d’enfants sont victimes de violences intrafamiliales. Le repérage et le diagnostic de violences conjugales doivent faire évoquer les autres types de violences, qui ont la spécificité d’être intriquées, gigognes. C’est tout l’enjeu d’un parcours spécifiquement dédié aux mineurs victimes de violences, en particulier au sein des unités d’accueil pédiatrique Enfants en danger (Uaped). Articuler ces dispositifs avec ceux prenant en charge les femmes, pour que les professionnels repérant ces situations les réfèrent dans des structures de soins dédiés, représente aussi un défi.
« Quand un pédiatre repère qu’un parent est victime de violence conjugale, il lui faut rechercher, chez l’enfant, des violences de toute nature. Il faut être particulièrement vigilant avec les nourrissons (ne pouvant s’exprimer, ils sont potentiellement en très grave danger lorsqu’ils sont victimes de violences) et les adolescents, qui ont une expression de la violence particulière, plus volontiers sur un mode auto ou hétéro-agressif. La société est encore très loin d’avoir pris la mesure de ce qu’il se passe pour les enfants dans le huis clos des familles où des violences existent », souligne la Pr Balençon.
Agir en cas de suspicion et repérer les drapeaux rouges
À la moindre suspicion de maltraitance chez l’enfant, le médecin de terrain, s’il se sent démuni, peut s’entourer et contacter des professionnels spécialisés : le médecin référent protection de l’enfance de son département, la cellule départementale de recueil de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (Crip), ou l’unité d’accueil pédiatrique Enfants en danger (Uaped). « Ces services permettent d’évaluer, à hauteur d’enfant, la possibilité d’autres violences associées aux violences conjugales. En raison de la particulière vulnérabilité que confère leur minorité, les enfants et les ados victimes pourront être pris en charge dans un lieu pédiatrique dédié, avec des professionnels d’horizons divers qui se mobilisent dans ce lieu unique. Les enfants pourront ainsi bénéficier d’un parcours de soins fléché, prenant acte de leur mise en protection ou de leur audition par les services d’enquête si besoin », rappelle la Pr Balençon. Ces services permettent la mise en commun des savoirs et des expériences au service de l'enfant avec la participation des pédiatre, pédopsychiatre, psychologue, médecin légiste, service d'enquête, etc.
À noter qu’il existe des situations qui justifient un recours en urgence aux services hospitaliers, en particulier toute lésion d’allure traumatique (ecchymose, hématome, facture, lésions des muqueuses) chez un enfant qui n’est pas en capacité de se déplacer, ou une grossesse chez une mineure de moins de 15 ans. Ce maillage territorial permet une réponse graduée et active à l'obligation de protection des praticiens face aux situations de mineurs en danger.
Améliorer la prise en charge
Pour répondre à leur obligation de protection, les médecins peuvent saisir la Crip. Un modèle d’information préoccupante a été conçu en 2023 par le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom), l’Observatoire national de protection de l’enfance, la SFPML et les médecins référents protection de l’enfance : il est disponible sur le site du Cnom (1).
L’hôpital offre aussi la possibilité de répondre a ce besoin de protection, en voyant les enfants dans les Uaped. Les spécialistes plaident pour la mise en œuvre impérative et urgente de mesures pour améliorer la prise en charge des enfants. « Il faut renforcer les Uaped/Équipes pédiatriques régionales de référence pour les enfants en danger (Eprred) sur le territoire, dispenser une meilleure formation des médecins et des professionnels de santé, organiser et financer des parcours de soins des enfants et adolescents en danger, expose la Pr Balençon. Un travail d’articulation avec les structures prenant en charge les femmes victimes de violences, en particulier les Maisons des femmes, est nécessaire afin que les enfants soient référés à des professionnels de l’enfance, en particulier au sein des Uaped pour poursuivre l’évaluation, les soins et s’assurer de leur protection. »
« Les violences faites aux femmes et aux enfants sont des sujets graves et connexes. Ils méritent un traitement individualisé et adapté à la vulnérabilité des victimes », résume la Pr Balençon. On ne peut que se réjouir que le plan violences 2023-2027 soutienne fortement ces dispositifs et ces axes de travail.
Entretien avec la Pr Martine Balençon (CHU de Caen), présidente de la Société française de pédiatrie médico-légale (1) www.conseil-national.medecin.fr/documents-types-demarches/documents-typ…
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