Il est temps de revoir nos pratiques

Des médicaments pas si anodins

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Publié le 23/01/2020
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Anti-inflammatoires, macrolides au long cours et corticostéroïdes inhalés, sont largement consommés et/ou prescrits. Ils ne sont pour autant pas dénués de risque et demandent une approche plus drastique de leur rapport bénéfice/risque.
« Ça ne peut pas faire de mal », en êtes-vous sûrs ?

« Ça ne peut pas faire de mal », en êtes-vous sûrs ?
Crédit photo : phanie

Les AINS devraient passer « derrière le comptoir », mais resteront délivrés sans ordonnance. Or ils sont largement utilisés, seuls ou associés à diverses autres substances, en particulier dans des médicaments dits « contre le rhume ». Les pédiatres avaient déjà lancé des alertes à ce sujet, et on a de plus en plus de données épidémiologiques chez l’adulte qui montrent que les patients ayant pris des AINS et qui vont développer une pneumonie aiguë communautaire feront plus souvent des complications à type d’épanchements pleuraux ou d’abcès. Des données qui confirment ce qui avait déjà été observé aux États-Unis avec les AINS utilisés pour les dysménorrhées.

« Globalement les AINS n’ont pas d’indication dans les pathologies respiratoires et leur utilisation peut être aisément limitée. La question est plus complexe pour les macrolides et a fortiori les corticostéroïdes inhalés (CSI) qui ont fait la preuve de leur efficacité dans certaines situations cliniques, mais ne sont pas inoffensifs. Leurs indications doivent être bien réfléchies », alerte la Pr Anne Bergeron-Lafaurie, membre du groupe pour la recherche et l’enseignement en pneumo-infectiologie de la société française de pneumologie.

Macrolides : diminution de la protection antitumorale

Le traitement par azithromycine (AZT) à faible dose au long cours aurait une efficacité dans la prévention des exacerbations de l’asthme, de la BPCO, de la mucoviscidose ou des DDB. Ses effets sur le système cardiovasculaire, l’audition, l’émergence de résistances microbiennes sont connues mais d’autres conséquences pourraient être encore plus sévères.

Après transplantation pulmonaire, peut se développer une bronchiolite constrictive, témoignant d’un rejet du greffon, et dont la survenue pourrait être prévenue par l’administration d’azithromycine. Ce qui a amené à émettre l’hypothèse que l’AZT pourrait être efficace chez des patients recevant une greffe de moelle pour une hémopathie, et qui tendent à développer le même type de bronchiolite au pronostic redoutable. Mais l’étude a dû être arrêtée de façon prématurée, les patients du groupe AZT ayant plus fréquemment rechuté de leur maladie hématologique. Une autre étude plus récente a recouru à l’AZT plus tardivement, non pas pour prévenir mais pour traiter la bronchiolite, mais au prix d’augmentation du nombre de cancers solides. « L’AZT a vraisemblablement un impact sur la réponse immunitaire antitumorale qui pourrait ainsi s’observer chez les patients recevant l’AZT au long cours, ce qui doit engager à considérer et investiguer ces risques potentiels dans le contexte des maladies bronchiques chroniques », explique la pneumologue.

Corticothérapie inhalée : un surrisque de pneumopathie

Les CSI donnés en traitement de fond dans l’asthme et la BPCO augmentent le risque de développer une pneumonie infectieuse bactérienne ou fungique. Il n’est pas question de nier ce qu’ont apporté les CSI dans la prise en charge des asthmatiques. Mais, dans la BPCO, il est évident qu’on prescrit trop de CSI, avec des bénéfices qui ne sont pas majeurs, sauf en cas d’exacerbations fréquentes.

« Il faut changer cette vision qu’ont les médecins à propos de ces trois traitements, et ne plus les prescrire sous prétexte que si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal. L’expérience nous apprend que c’est erroné », souligne la Pr Bergeron.

Entretien avec le Pr Anne Bergeron-Lafaurie, hôpital Saint-Louis, membre du Groupe pour la recherche et l’enseignement en pneumo-infectiologie de la Société française de pneumologie

Welte T. Am J Resp Crit Care Med. 2019(200)3 : 269-70  

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Kew KM et al. Coch Datab Syst Rev. 2014 Mar 10;(3):CD010115

Dr Maia Bovard Gouffrant

Source : Le Quotidien du médecin