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Embolie pulmonaire : quelle durée de traitement ?

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Publié le 17/09/2024
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Traitement par anticoagulant oral de six mois, ou au long cours ? La question de la prise en charge de l’embolie pulmonaire n’est pas si simple et le ressenti du patient entre aussi en compte.

En passe de devenir la deuxième cause de décès cardiovasculaire

En passe de devenir la deuxième cause de décès cardiovasculaire
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

La maladie thromboembolique veineuse (MTEV) touche 1 à 2 ‰ personnes chaque année, soit 150 000 à 200 000 cas. Environ un tiers prennent la forme d’une embolie pulmonaire (EP). La mortalité est proche de 10 % à trois mois. L’EP est ainsi la troisième cause de mortalité cardiovasculaire, en passe de devenir la deuxième, car la mortalité par infarctus du myocarde est en recul.

Prise en charge hospitalière devant toute suspicion

La prise en charge de toute suspicion d’EP se fait à l’hôpital, dans un service d’urgence : l’angioscanner thoracique ou la scintigraphie pulmonaire confirme le diagnostic, et le traitement est initié à l’hôpital.

Une sortie précoce est possible dans les 24 heures chez environ un tiers des patients : en l’absence de critère de sévérité (score PESI simplifié à 0), en l’absence de comorbidité comme une BPCO sévère, une insuffisance cardiaque sévère ou une insuffisance rénale, si de bonnes conditions socio-économiques et psychologiques sont assurées pour poursuivre son traitement à domicile (entourage, absence de troubles cognitifs) et en prenant en compte la perception du médecin et celle du patient par rapport à la situation. « Par exemple, une petite EP très périphérique, au contact de la plèvre, peut être très douloureuse et nécessiter de la morphine : même si les autres conditions sont réunies pour une sortie précoce, un report est préférable tant que la douleur n’est pas contrôlée ! Idem s’il s’agit d’une femme enceinte (on préfère surveiller) ou d’un patient éloigné de l’hôpital et sans médecin traitant, puisqu’il faut impérativement une visite médicale de contrôle dans les 72 heures », explique le Pr Francis Couturaud (CHRU Brest), coordinateur du réseau français F-Crin Innovte*.

Le ressenti du patient compte aussi, notamment s’il a eu « peur de mourir ». « Fréquemment, il existe une discordance dans le discours des professionnels de la santé : aux urgences, le patient s’entend dire qu’il a bien fait de venir car son EP lui a fait courir un risque vital et, quelques heures plus tard, on va lui proposer une sortie précoce ! », souligne le Pr Couturaud.

Dépistage du stress post-traumatique

La durée minimale de traitement par anticoagulant — majoritairement des anticoagulants oraux directs (AOD) — est plutôt de six mois en cas d’EP. Ces patients sont aussi revus à un mois car certains d’entre eux présentent des traits de syndrome de stress post-traumatique : ils ont peur de l’avenir et sont tétanisés, en perte de projet. Un débriefing sur leur ressenti est donc indispensable. Une éducation thérapeutique est aussi à faire pour leur rappeler pourquoi il est important de prendre leurs traitements à peu près à heure fixe, qu’est-ce qu’il leur est possible de faire — à peu près tout, y compris la reprise progressive du sport.

Repérer les patients à risque et les séquelles

À six mois, un nouveau bilan permet de déterminer s’il faut, ou non, continuer le traitement. Chez environ la moitié des patients, ceux à haut risque de récidive — notamment en raison d’une EP sans circonstance déclenchante, ou en présence d’un cancer — il faut envisager un traitement au long cours. En effet, le taux de récidive à cinq ans est le même chez eux (40 à 50 %) après l’arrêt du traitement, que celui-ci ait été maintenu six mois ou deux ans. « Il n’y a donc que deux possibilités de traitements : soit de courte durée — trois à six mois — soit de durée illimitée pour les patients à haut risque », résume le Pr Couturaud

Un outil de prédiction du risque

Morphéus est un projet européen porté par le CHU de Brest, qui inclut 14 cohortes (issues de huit centres européens) de patients (20 000 au total) ayant une MTEV non provoquée, avec données cliniques, biobanques et banques d’images. L’objectif est de construire un outil de prédiction de risque, mais pas seulement. « Nous travaillons avec un consortium d’anthropologues de la santé et de sociologues, qui conduisent en parallèle des entretiens avec les patients sur leur perception et leurs attentes (certains se sentent plus rassurés sous AOD, d’autres non…), en vue d’ériger un modèle de décision médicale partagée », relate le Pr Couturaud (Brest). Cet outil devrait ensuite être validé dans un vaste essai international, où des centres seront randomisés pour utiliser ou non cet outil médical partagé. « Nous espérons ainsi pouvoir émettre des recommandations dans les cinq ans », indique le pneumologue.

Enfin, chez les patients qui gardent des séquelles symptomatiques pulmonaires (avec une dyspnée à six mois, une moins bonne qualité de vie), un bilan cardiorespiratoire est préconisé — comprenant une scintigraphie pulmonaire et une échographie cardiaque — à la recherche d’une obstruction vasculaire pulmonaire persistante, voire d’une hypertension pulmonaire thromboembolique chronique (2 % des patients), nécessitant un traitement au long cours associé à une prise en charge spécifique pour reperméabiliser les artères pulmonaires. « Chez ces patients qui ne récupèrent pas complètement, ce bilan donne notamment des arguments pour poursuivre le traitement par anticoagulant. L’existence d’une thrombophilie majeure, comme le syndrome des antiphospholipides (SAPL) et le déficit en antithrombine, peut enfin jouer sur la durée de traitement », rappelle le Pr Couturaud.

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Entretien avec le Pr Francis Couturaud (Brest)
* Investigation network on venous thrombo-embolism : www.innovte-thrombosisnetwork.eu

Dr Nathalie Szapiro

Source : Le Quotidien du Médecin