« Je ne m'attendais pas à cela, mais la situation est encore plus accablante que dans les EHPAD ». Les mots de la députée Caroline Fiat (LFI, Meurthe-et-Moselle) donnent le ton du rapport sur l'organisation territoriale de la santé mentale présenté ce mercredi 18 septembre en séance publique à l'Assemblée nationale, et rédigé conjointement avec la députée Martine Wonner (LREM, Bas-Rhin).
Ce rapport fait suite à la mission flash sur le financement de la psychiatrie, dont les conclusions ont été rendues en février, déjà par Martine Wonner. Il dresse surtout un état des lieux sombre de la psychiatrie et pointe une prise en charge « catastrophique » des patients et une forme d'abandon des médecins généralistes, « bien peu armés pour repérer [les patients], les prendre en charge et [les] orienter dans le labyrinthe de la psychiatrie ».
Sur le terrain, l'organisation de la santé mentale est « un millefeuille indigeste de structures et d'acteurs » (hôpitaux, centres médico-psychologiques CMP, centres d'accueil, ateliers thérapeutiques, professionnels de santé libéraux, cliniques psychiatriques), auquel s'ajoutent les récents projets territoriaux de santé mentale (PTSM) et les acteurs hors du champ sanitaire. La prévention est par ailleurs limitée voire inexistante, et les soins non programmés et l'éducation thérapeutique « insuffisants », ce qui amène les malades directement aux urgences ou à l’hôpital.
De fait, le système français de prise en charge de la psychiatrie est hospitalocentré, et cela est aggravé par des difficultés financières chroniques, juge le rapport. En parallèle, la baisse du nombre de lits – entre 1990 et 2016, le nombre de lits d’hospitalisation en psychiatrie a diminué de moitié – n’a pas été « compensée » par une offre extrahospitalière suffisante.
Autre « travers » du système, les solutions d’amont comme d’aval sont « peu développées » et les acteurs de la psychiatrie peu coordonnés. Ainsi en est-il avec la médecine générale. Les relations des généralistes avec la psychiatrie ne sont pas fluides, alors que 20 % à 30 % de leurs consultations seraient liées à ces troubles (chiffres DREES). Les psychiatres, eux, libéraux comme hospitaliers, ont une densité très variable selon les départements : 6,9 psychiatres pour 100 000 habitants dans les Ardennes, 32 dans le Rhône. À Paris, il y a 70,9 psychiatres pour 100 000 habitants, soit un écart de 1 à 10.
Stage obligatoire
De ces constats sévères découlent neuf propositions des deux députées, qui plaident pour une offre de soins « tournée autour des patients et non plus des structures ».
Pour ce faire, le premier recours doit être étayé et les généralistes mieux formés à la santé mentale. C'est « impératif et urgent », insistent les auteurs. Le rapport propose qu'un stage soit obligatoire lors du second cycle et du 3e cycle des études médicales. Des initiatives de dispositifs de soins partagés entre généralistes de ville et psychiatres du secteur, comme à Toulouse et dans les Yvelines, sont aussi prises en exemple.
Autre idée : articuler les CMP avec la médecine de ville et s'intégrer aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), indique le rapport. « Des professionnels libéraux (psychiatres et psychologues) pourraient aussi consacrer des créneaux horaires de consultations non programmées dans les CMP », indique Martine Wonner, qui plaide aussi pour le remboursement des psychothérapies par les psychologues.
Un transfert à 80 % des moyens hospitaliers vers l'ambulatoire
Autre préconisation : prendre largement le virage ambulatoire, en s'inspirant cette fois de la Belgique, où une partie des moyens financiers des hôpitaux ont été alloués vers de nouveaux services organisés en réseaux et vers des équipes mobiles. Le rapport fixe comme objectif à 10 ans que 80 % du personnel et des moyens de l'hôpital psychiatrique soient transférés en ambulatoire. « Arrêtons de financer des murs, finançons des équipes mobiles [hospitalières, NDLR] qui pourront répondre aux urgences et "aller vers" », plaide Martine Wonner.
Actuellement, pour 20 411 places d'hospitalisation à temps plein, on compte 183 places thérapeutiques en familles, 191 places dans des appartements thérapeutiques, 926 places en centres postcure, 57 places d'hospitalisation à domicile (HAD) et 54 places en centres de crise.
En parallèle et toujours pour dynamiser la prise en charge ambulatoire, le rapport évoque la création d'un guichet unique propre au secteur, « sorte de plateforme de soins de proximité, généraliste, en santé mentale, largement accessible avec des soins non programmés, sans liste d’attente, au cœur de la cité, organisée en équipes pluridisciplinaires, en liaison avec les associations, les familles et les autres acteurs locaux ».
À l'hôpital, la députée Wonner demande carrément un « moratoire » sur l'ouverture de lits, un point qui va à l'encontre des demandes des professionnels du secteur, qui ont multiplié les grèves ces derniers mois. Elle diverge ici avec Caroline Fiat, qui veut d'abord sortir de l'intra-hospitalier avant de fermer des lits « dans un deuxième temps ». « Agir en sens inverse ne pourrait que conduire à l’implosion de l’hôpital psychiatrique », estime l'élue de Meurthe-et-Moselle.
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