« Dans cinq ans, le deep learning fera mieux qu’eux. Les radiologues sont comme le Coyote [du dessin animé de Tex Avery, N.D.L.R] qui se trouve déjà au-dessus du vide mais n’a pas encore regardé en bas. » Sévère pour la spécialité, ce propos tenu en 2016 par Geoffrey Hinton, spécialiste reconnu de l’intelligence artificielle (IA), a servi d’introduction à une discussion organisée dans le cadre des Journées francophones de radiologie (JFR) de Printemps organisée à Nîmes début juin.
Pour le Dr Thibaut Jacques du CHU de Lille, la vérification de la prophétie en 2021 est sans appel : « Les conditions d’évaluation sont telles que l’on surévalue les performances de l’algorithme et on sous-évalue celles de l’humain. » Et d’expliquer ainsi : « Pour tester la performance d’une IA, on utilise souvent des données très proches de celles utilisées pour son entraînement. Le résultat est donc que l’on présente l’algorithme sous son meilleur jour alors qu’il suffit de confronter l’IA à un autre jeu de données issues par exemple d’un autre constructeur de scanner, ou que l’on change l’âge des patients, pour obtenir une performance nettement inférieure », a-t-il pointé en s’appuyant notamment, lors de sa présentation, sur une étude britannique publiée dans le « British Medical Journal » (1).
Des biais pointés dans des études de référence
En outre, ce médecin représentant de la Société française de radiologie (SFR) Junior a mis en exergue les biais, minorés médiatiquement, de certaines publications. En janvier 2020, une étude publiée dans « Nature » affirmait que l’IA de Google est capable d’identifier les cancers avec un degré de précision similaire à celui des radiologues experts (2). « Or, dans ce type d’étude, on considère assez peu la taille de l’effet quand il y a des erreurs car l’IA en commet aussi, explique-t-il. Il faut se poser la question de qui est le patient, s’il est âgé ou non, et de son contexte. »
Une dimension d’autant plus importante que, selon le Dr Jacques, les erreurs de l’IA et de l’humain ne sont fondamentalement pas les mêmes. « Ce n’est pas parce qu’une fracture est grosse que l’IA la voit. J’ai eu un cas dans mon service… Or, dans certaines études, sont exclues les fractures trop évidentes pour l’œil du professionnel. C’est un biais », témoigne-t-il.
Outil d’aide à la décision ou de diagnostic ?
Ainsi, si l’algorithme est un outil d’aide à la décision, il ne saurait être considéré comme un outil de diagnostic. « C’est d’autant plus important que si l’on est exposé de façon répétée à des conseils erronés, par la machine ou par l’homme, on perd en performance. Il faut vraiment des études prospectives sur le sujet pour savoir si les algorithmes aident à améliorer ou non les performances », plaide le radiologue nordiste.
Et de compléter : « On a une observation en interne qui tend à montrer que deux algorithmes avec des paramètres assez proches peuvent soit améliorer, soit baisser vos performances. » Au-delà de ces considérations d’examens en vie réelle, les radiologues présents aux JFR de Printemps ont loué la capacité de segmentation des algorithmes tout en pointant le risque de « débruitage » de l’image qui peut conclure à une perte d’information.
Si les craintes d’un remplacement du radiologue par l’ordinateur se sont estompées depuis 2015, date de l’apparition des premiers outils d’IA en imagerie, l’exigence de complémentarité demeure. « Notre spécialité, depuis ses débuts a toujours lié un homme, ses compétences et son savoir-faire à une machine dont il se sert… », a estimé, dans son intervention, Émilien Jupin, interne aux Hospices civils de Lyon, avant de conclure : « Je ne pense pas que lors de l’apparition des premiers scanners puis des IRM, les radiologues aient eu peur d’être remplacés par ces outils. Et l’IA reste un outil comme un autre. »
(1) M. Nagendran et al, BMJ 2020. doi.org/10.1136/bmj.m689
(2) S. M. McKinney et al, Nature. doi.org/10.1038/s41586-019-1799-6
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