Procès Bonnemaison : 5 ans de prison avec sursis requis

Publié le 23/10/2015

Crédit photo : Sébastien Toubon

Le dernier jour du « procès Bonnemaison » en appel, à la cour d’assises du Maine-et-Loire, après 15 jours d’auditions approfondies et éprouvantes, a une nouvelle fois mis en lumière toute la complexité de l’affaire, où les valeurs de « bien » et de « mal » s’intervertissent face à la mort et à la souffrance.

Pas un assassin au sens commun

Nicolas Bonnemaison a-t-il fait le bien en sombrant dans le mal ? A-t-il fait le mal en pensant faire le bien ? Comment un homme décrit comme empathique, proche des familles et excellent médecin, s’est-il emmuré dans le silence, la solitude, voire « la toute puissance », selon les mots de l’avocat général Olivier Tcherkessoff ? Au-delà de ces contradictions insolubles, les jurés doivent répondre pour les 7 cas « d’empoisonnement » à deux questions : Nicolas Bonnemaison a-t-il eu l’intention de tuer ? Y avait-il vulnérabilité du patient ?

« Non, Nicolas Bonnemaison n’est pas un assassin ou un empoisonneur au sens du langage commun, mais il peut se voir reprocher plusieurs atteintes à la vie d’autrui au sens où l’entend la loi pénale », a déclamé l’avocat général, avant de requérir 5 ans d’emprisonnement avec sursis, comme en première instance à Pau. Une peine qui, a-t-il précisé, n’est pas destinée à accabler pas un « homme fragile et en souffrance, victime de son propre aveuglement », mais à renouer la confiance de la société dans le corps médical, et à assurer une réparation pour les familles, ainsi que pour Nicolas Bonnemaison lui-même.

Un médecin au-dessus des lois

Les conseils des parties civiles, qui ont plaidé en premier ce vendredi 23 octobre, ont insisté sur l’intentionnalité du Dr Bonnemaison. « Mme Iramuno ne souffrait pas, elle ne présentait pas les signes de douleurs agoniques, son visage était serein. Souvenez-vous de son calme et de sa sérénité quand vous délibérerez », a lancé aux jurés Me Bernard Frank Macéra, avocat des époux Iramuno.

Me Thierry Cazes, conseil de Yves Geffroy, s’est laissé toucher par l’accusé : « Ses mobiles étaient bons, on peut avoir de l’empathie pour le Dr Bonnemaison. » Mais il dénonce « l’intention légale qui était de tuer » et met en garde contre la crise de confiance entre la société et le corps médical que pourraient provoquer de tels actes. Évoquant les autres médecins venus à la barre soutenir leur confrère en disant : « Je l’ai fait, on l’a tous fait », Me Cazes a vilipendé un corps professionnel qui du haut de son estrade décide que famille et équipe médicale ne comprennent rien. « Si vous deviez confirmer acquittement, c’est la porte ouverte à tous les abus. Chaque médecin s’estimera au-dessus de tout. C’est une perte de confiance totale en l’institution hospitalière », a-t-il déclaré.

Un homme enfermé dans sa toute puissance

Comme en écho, c’est par la confiance trahie, qui signe la fin de la médecine – rencontre d’une confiance, celle du patient, et d’une conscience, celle du médecin – que l’avocat général a commencé son réquisitoire. Peu importe les mobiles qui ont présidé aux actes de Nicolas Bonnemaison. « L’empoisonnement par pitié n’est pas moins juridiquement intentionnel que l’empoisonnement par vengeance ou cupidité », a-t-il dit, avant d’examiner les circonstances éclairant cette intention.

Répondant à Nicolas Bonnemaison qui dit n’avoir que sa bonne foi à apporter, Olivier Tcherkessoff a souligné que tout médecin susceptible de faire un pas de côté par rapport au cadre général de la loi (qui le prévoit) doit apporter des preuves tangibles, comme la traçabilité de son acte dans le dossier médical ou la conformité de son exercice avec les données de la science et les bonnes pratiques.

Reprenant au cas par cas les 7 dossiers, l’avocat général a dénoncé l’absence de collégialité, les dossiers médicaux vides, des titrations non systématiques de l’hypnovel, l’utilisation du curare hors indications reconnues, la préparation anticipée des seringues glissées dans la blouse, parfois 2 heures avant utilisation, les paris, qui au-delà de l’humour potache, « prennent une autre consistance quand l’événement (le décès, ndlr) se produit comme annoncé et après l’injection », le calme sinon la froideur du Dr Bonnemaison lorsque le scope résonne, puis ses déclarations à géométrie variable lors des 4 ans de procédure.

« Le Dr Bonnemaison est enfermé dans sa propre logique de toute puissance. Il est persuadé de faire le bien alors qu’il fait le mal », résume l’avocat général. « Il a franchi la ligne rouge en toute connaissance de cause et a commis des actes qui tombent sous le coup de la loi pénale », conclut-il.

Une médecine des routes et du cœur, un « serial doctor »

« Il faut dire non à une chose invraisemblable : qu’un médecin au nom des actes médicaux puisse être assis là comme un criminel. Si vous le déclarez coupable, il n’y a pas de différence entre lui et un homme qui tue avec un couteau », a exhorté Me Arnaud Dupin.

L’avocat de Nicolas Bonnemaison a dépeint l’après-midi un médecin humain, les mains dans le cambouis, pratiquant la « médecine du bord des routes », au chevet des corps meurtris, une « médecine des cœurs », où on ne laisse pas partir les mourants dans la solitude. Un médecin responsable qui ne ferme pas la porte sur les fins de vie, non par toute puissance ni mission divine, mais par devoir, et parce qu’il connaît les agonies.

Me Dupin a nié toute intention de donner la mort dans les gestes du Dr Bonnemaison, gestes qui relèvent de la sédation, non de l’euthanasie, a-t-il insisté. Certes, il a pu rater certains dialogues, notamment avec Yves Geffroy. Il a pu parier, non sur la vie, mais sur un diagnostic, car il connaît mieux que quiconque les signes précurseurs d’une agonie. Il a pu rester à son bureau lorsque le scope résonnait, car « un patient qui part, c’est un échec ». Il a pu « avoir un peu de fierté à se dire, oui je suis médecin ». Il a pu « s’isoler dans sa décision », et échapper à la collégialité, dans une équipe où le dialogue faisait défaut.

« Mais ne pas remplir un dossier médical relève de l’Ordre, non d’une cour d’assise. Le non-respect de la loi Leonetti ne caractérise pas une intention criminelle », a tonné Me Dupin, rappelant que Jean Leonetti lui-même, comme les ministres Bernard Kouchner ou Michèle Delaunay, récuse le terme d’« assassin ».

« Il n’a pas utilisé la seringue comme une arme. Il n’a jamais eu d’intention criminelle. 7 cas, on dit serial killer ? Non. Serial doctor, oui », a conclu l’avocat de Nicolas Bonnemaison.

Le verdict est attendu samedi.

De notre envoyée spéciale à Angers Coline Garré

Source : lequotidiendumedecin.fr