Courrier des lecteurs

Un cas d'éthique inédit aux urgences

Publié le 16/09/2022

C’est afin de protéger, non pas de ses contempteurs mais bien de ses thuriféraires, le peu de sens* que revêtait encore le concept d’Éthique** dans les milieux culturels qu’il côtoyait, que Ludwig Wittgenstein souhaitait qu’il fut frappé, en priorité, au sceau de la conclusion de son Tractatus-logico-philosophicus. De ce dont on ne peut parler, il faut se taire. Tout en souscrivant au propos du Maître, peut-on tenter à travers des exemples de saisir la pertinence d’une partie de son travail philosophique?

Xavier (le prénom a été modifié) est le patron d’un salon de coiffure dans lequel je me rends trimestriellement. Il
ignore que je suis médecin. Un relation commerciale de tutoiement s’est installée depuis deux ans. Xavier est cliniquement alcool-tabagique. Lors de mes rendez-vous je ne ressens aucune impériosité éthique à lui dire : « Xavier tu devrais prendre soin de toi ».

En gardes aux urgences, je croise Xavier qui vient de son propre gré, radiographier une épaule traumatisée par une alcoolémie avouée. Masqué pour cause de Covid, il ne me reconnait pas, ou feint de ne pas me reconnaître. Afin de ne pas le mettre dans une situation embarrassante, voire humiliante, alors que j’ai le choix de le prendre en charge, je décide de le confier à un confrère.

Fort des regards à la dérobée qu’il m’envoie quand je le croise dans les couloirs, je termine ma garde avec la satisfaction du travail accompli et le sentiment d’avoir fait le bon choix, en rapport à nos futures rencontres au salon de coiffure.

Le lendemain je suis en proie à des doutes -somme toute pas plus intenses que ceux à
quoi le quotidien de notre exercice nous confronte- quant à la véritable aide que j’aurais pu apporter à ce patient. De quel impératif éthique me semblait-il avoir été la proie lors de cette non prise en charge ? La bienséance, la courtoisie, le respect, la sympathie, les serments d’Hippocrate et de Maïmonide ?… Autant d’aspects que revêt le concept d’éthique et qui la plupart du temps ne se pare que de la strate que celui qui emploie ce terme lui confère.

« Tous comptes faits » … N’avais-je pas là l’occasion inespérée d’assoir de mon autorité, quitte à remettre dans d’autres mains moins habiles mon devenir capillaire, le fait qu’il devait impérativement prendre des résolutions sur ses dépendances délétères?

Il venait de son propre gré, reconnaissant les circonstances de sa chute. Peut-être, voulait-il cette nuit -à la manière des tueurs en série qui laissent des indices susceptibles de mettre fin à leur activité- en finir avec ses démons? J’aurais été alors le plus à même des praticiens du service, de part notre « complicité » à le prendre en charge et avoir un impact thérapeutique efficace, voire en usant d’un « chantage » commercial… « Moi…Si tu n’abandonnes pas tes comportements, Je ne viendrais plus chez toi ! ».

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Exergue :  Peut-être, voulait-il cette nuit en finir avec ses démons?

Dr Thierry Deregnaucourt Médecin généraliste, Sailly-en-Ostrevent (62)

Source : Le Quotidien du médecin