Courrier des lecteurs

Vraies raisons et inévitables conséquences des délégations de tâches

Publié le 19/11/2021

Il y a quelques semaines de cela « Le Quotidien du Médecin » a évoqué la délégation des tâches et le transfert de compétences vers d’autres professionnels de santé que des médecins. Les différents articles composant cette trame étaient très intéressants, et ont mis en évidence une importance réticence du corps médical.

Travailler en équipe peut être très instructif, mais les médecins refusent que le champ de leurs compétences soit piétiné par les autres professionnels de santé. D’ailleurs, des manifestations assez virulentes, relayées par la presse médicale, ont mis en lumière un refus de la part des ophtalmologues de déléguer certaines de leurs tâches vers les orthoptistes.

Pourquoi les délégations sont boudées par les médecins

Au-delà d’un combat entre soignants, il est nécessaire de prendre un peu de hauteur pour comprendre les raisons de ce refus. Tout d’abord, la rapidité avec laquelle cette disposition a été prise dénote une grande fébrilité des pouvoirs publics sur cette question, et traduit le manque cruel de discussions et d’échanges avec les médecins libéraux.

D’autre part, travailler en collaboration avec d’autres professionnels de santé cela peut être très enrichissant, mais aussi peut conduire à certains excès ou revendications parfois injustifiées de la part de certains de ces acteurs propulsés sur le devant de la scène. Même si dans la majorité des cas le travail avec les infirmières est très constructif, il est parfois difficile avec certains de ces soignants de collaborer (problème de caractère, volonté de valorisation dans un champ de compétence qui n’est pas le leur….).

De ce fait, certains confrères refusent de collaborer avec certaines infirmières ou kinésithérapeutes sur des projets communs car, dans certains cas, leurs compétences sont remises en question ou parfois critiquées devant les patients. Aussi œuvrer avec d’autres professionnels c’est bien, mais il est parfois difficile de le faire avec certains d’entre eux.

L’autre problématique est l’évolution de la rémunération du médecin qui collabore avec ces professionnels. Même si cela peut être enrichissant, cette mutualisation des compétences risque de faire grincer des dents car donner plus de moyens financiers c’est bien, mais de quelle manière, et pour qui ?

Quoi de plus intéressant pour un médecin, après avoir parlementé et expliqué à un patient la nécessité d’un traitement par insuline du fait d’objectifs non atteints en ce qui concerne son diabète, de renouveler une prescription d’examens complémentaires pour le second patient qui lui est bien équilibré. Dans le premier cas, la communication va nécessiter beaucoup d’énergie et de temps (souvent 30 mn sont nécessaires), tandis que le second la prise en charge sera plus rapide moins de 20 mn.

Or si nous demandons aux autres professionnels de prendre en charge le 2e patient (car cette fonction peut être dans leurs attributions), nous n’aurons plus à gérer que des cas complexes demandant beaucoup de temps de consultation pour une rémunération ridicule. Autrement dit, en déléguant les tâches on va réduire la rémunération du médecin libéral. Quant à la revalorisation des actes souhaitable dans ce cas, nous pouvons toujours rêver, car les médecins généralistes ont obtenu d’énormes avancées récentes dans ce domaine avec une majoration importante de la rétribution des visites des plus de 80 ans en ALD à raison de quatre par ans.

Avec cela les libéraux deviennent des nantis du système de santé, et ils pourront ramasser sans broncher les quelques carottes données en cas de participation dans l’effort collectif de réduction du déficit de la Sécurité Sociale.

L’exécutif se défausse

En parallèle, les énarques et politiques demeurent fébriles à l’idée d’une désertification médicale qui se développe de manière très inquiétante. En effet, très régulièrement des journalistes pointent les affres de la gestion du système de soins en France. Aussi pour « contenter » les citoyens (ils sont aussi des électeurs potentiels), il est nécessaire de trouver des solutions vis-à-vis d’une problématique qui ne va que s’accentuer.

La téléconsultation est une de ces combines qui amène différents acteurs (pharmaciens et maires de certaines communes) à proposer ce service sans parfois tenir compte de la réalité d’une offre de soins, dans certains cas satisfaisante.

La délégation des tâches en est une seconde. De cette manière, tous les patients peuvent être pris en charge par les professionnels de santé (les politiques se moquent de savoir s’ils ont réellement les compétences des fonctions qu’ils endossent).

Nous ne devons pas perdre de vue que la délégation des tâches n’est pas un souhait humaniste chez les politiques. C’est une solution pour calmer les éventuelles contestations du peuple qui pourraient poindre suite à la prise de conscience de la gestion calamiteuse de notre système de soins par ces énarques qui ne savent pas consulter les acteurs impliqués dans le domaine de la santé.

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Exergue : En déléguant les tâches on va réduire la rémunération du médecin libéral.

Dr Pierre Frances, Médecin généraliste, Banyuls-sur-mer (66)

Source : Le Quotidien du médecin