LE QUOTIDIEN : Quelle est la situation au sein du service de réanimation de l'hôpital de la Timone ? Et dans quel état d'esprit sont les personnels ?
Pr NICOLAS BRUDER : Actuellement, 60 lits sont occupés par des patients Covid. Normalement, nous avons 62 lits de réanimation adultes, mais nous avons augmenté nos capacités pour arriver à 114 lits ouverts afin de continuer à accueillir d'autres patients.
Moralement, les personnels tiennent bon, même s'ils en ont marre et sont fatigués. Il n'y a pas de sentiment d'épuisement. Ils sont volontaires, peut-être résignés, mais il y a un bon état d'esprit. Au début de la première vague, il y avait de la peur à cause de beaucoup d'inconnues. Mais les soignants ont fait face et il y a eu un soutien très fort de la population. Et il n'y a pas eu, ou quasiment pas, de contaminations dans les réanimations à Marseille. Lorsque la seconde vague est arrivée, il n'y avait plus cette peur de l'inconnu, et le personnel médical et paramédical savait à quoi s'attendre.
Comment vous êtes-vous adaptés pour augmenter les capacités de la réanimation ?
Il y a d'abord eu des déprogrammations. Il y a deux semaines, à la Timone, nous n'avions plus qu'un tiers des salles d'opération ouvertes pour les adultes, un peu plus pour les enfants. Désormais, nous sommes revenus à 50 % des capacités opératoires.
Par ailleurs, il y a eu une très bonne coopération avec les établissements privés, qui ont joué le jeu en ouvrant des lits de réanimation Covid. Enfin, nous avons transféré des patients de la Timone vers des réanimations non Covid, hors CHU.
Nous avons aussi recruté beaucoup de paramédicaux : en tout, 60 infirmières, 40 aides-soignantes et 20 élèves infirmières anesthésistes (IADE). Nous avons fait venir des IADE de cliniques privées ayant réduit leur activité. Le problème s'est surtout posé au niveau de la formation, normalement d'une durée de 6 à 8 semaines pour les infirmières. Là, on a dû organiser une formation "expresse" de trois jours, très superficielle. Pour les médecins, les anesthésistes-réanimateurs ont été redistribués dans les réanimations Covid, nous avons augmenté les listes de garde et joué sur les vacances.
Y a-t-il eu des craintes de devoir faire des choix éthiques, un tri entre les patients ?
Oui. Il y a deux semaines, nous avons fait une réunion éthique entre réanimateurs, internistes et infectiologues car nous avions cette crainte de devoir sélectionner les patients, par exemple sur leur âge. Nous aurions pu y arriver si les cas avaient continué à grimper car, à 114 lits ouverts, nous sommes au maximum de nos capacités ! Aller au-delà, cela veut dire investir les soins intensifs de cardiologie, les unités de réanimation pédiatrique et ne plus savoir où trouver des médecins et paramédicaux. Heureusement, nous n'avons pas eu à refuser des indications de réanimation pour des patients qui l'auraient justifié. Mais cela s'est joué à un cheveu.
Quelles leçons ont été tirées de la première vague ?
D'abord l'expérience de l'organisation mise en place, cela a été beaucoup plus simple cette fois-ci. On a appris sur la manière dont on peut ouvrir des lits temporaires pour faire face aux épidémies. J'espère que cela pourra servir de modèle à l'avenir. On a également appris de la littérature sur les soins et sur les approvisionnements en matériel et en équipements de protection. Enfin, nous avons aussi mieux anticipé.
En revanche, j'espère qu'il n'y aura pas de troisième vague, ce serait insupportable pour tous les soignants mobilisés. À un moment, il faut que l'on reprenne un cours normal du soin des patients. Les deux confinements ont été réussis, ils ont stoppé la propagation du virus, mais le premier déconfinement a été raté. Il ne faudrait pas le rater une deuxième fois.
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