On ne naît pas manager, on le devient en se formant !

Par
Publié le 09/06/2023
Article réservé aux abonnés
Que l’on s’y intéresse ou pas, gérer une structure de médecine d’urgence, c’est faire du management. Il peut s’avérer contre-productif, voire dangereux s’il est mal fait. Il y a donc urgence à se former, d’autant que la littérature est abondante sur le sujet. Pour répondre à quinze problématiques, une quarantaine d’experts s’est se sont appuyé sur 116 références bibliographiques.
La diversité des métiers est une force si la communication est multidirectionnelle

La diversité des métiers est une force si la communication est multidirectionnelle
Crédit photo : BURGER/PHANIE

L’objectif des experts était de proposer un socle commun de consignes et de réflexions sur les grandes questions managériales qui peuvent se poser dans une structure de médecine d’urgence, en se fondant sur la littérature, assez abondante à ce sujet (mais souvent méconnue). L’idée était aussi de proposer des recommandations aux managers en place, et ceux en devenir, grâce à une formation pertinente, théorique mais aussi et surtout pratique.

« Que ce soit en période de crise sanitaire ou pas, le management est crucial à l’hôpital, et peut être encore plus dans les structures de médecine d’urgence, en raison de la taille importante des équipes, de la concentration de métiers différents (ambulanciers, brancardiers, médecins juniors et seniors, infirmiers, aides-soignants, etc.) et des situations extrêmement variées qui y sont gérées. De plus, ces structures travaillent 24 h/24, sans possibilité de contrôle des flux, en amont comme en aval, ce qui génère des tensions permanentes. C’est aussi la spécialité médicale qui a le plus d’interfaces, en intrahospitalier (avec l’ensemble des services de l’hôpital) et en extrahospitalier (avec les soins de ville, les services de secours, les usagers, etc.), résume le Dr Mathieu Oberlin, médecin urgentiste à l’hôpital de Sélestat. Les structures de médecine d’urgence vivent la crise secouant le monde médical (manque de médecins et de personnel soignant) de façon amplifiée en tant que dernier maillon de la chaîne. Dans un contexte aussi délicat, un mauvais management peut avoir des conséquences désastreuses, générant de l’épuisement professionnel, des départs de personnels, une moindre qualité des soins. »

Gestionnaire et leader

Un groupe d’une quarantaine d’experts internationaux (France, Suisse, Canada, Belgique) a été constitué, composé par des experts de terrain et des experts enseignants chercheurs, pour rédiger leurs recommandations en utilisant la méthode Grade. Ils se sont fondés sur des données de la littérature (116 références bibliographiques) pour proposer 23 recommandations, répondant à 15 questions pratiques. L’ensemble du texte a été relu, validé par les experts et un comité de relecture.

Ces recommandations sont divisées en deux champs : ce qui caractérise un manager en structure de médecine d’urgence et comment manager ce type de structure. « Le manager doit avoir des compétences de gestionnaire (gestion des ressources affectées, organisation, planification…) et de leadership, pour communiquer, avoir une capacité d’écoute, motiver ses équipes, emporter l’adhésion, avoir une vision stratégique, gérer les conflits, etc. Cela nécessite impérativement de se former — avoir une certaine aisance naturelle ne suffit pas  via en particulier des ateliers pratiques », insiste le Dr Oberlin.

Manager nécessite aussi des moyens. Il faut un contrat d’engagements concrets avec la direction pour remplir ses missions, ainsi que l’accès à l’information pour développer des visions stratégiques et avoir une certaine légitimité, que ce soit dans l’organisation des soins, la comptabilité, etc. Le manager doit pouvoir obtenir des moyens, pour emporter l’adhésion de l’équipe et fédérer autour de petites victoires : nouveaux brancards, poste soignant, par exemple.

Motivation de l’équipe

La motivation passe par le sentiment d’appartenir à un groupe, de pouvoir développer des compétences pour s’épanouir, d’avoir une certaine autonomie dans le travail, d’avoir la possibilité de s’exprimer, de prendre certaines décisions, etc. Cela nécessite de la part du manager d’être capable de s’adapter à chaque personne, pour entendre ses propres besoins. « Contrairement à ce que l’on entend souvent, il n’y a pas de particularité générationnelle. C’est la société dans son ensemble qui a changé, et pas seulement la génération Y ou Z. Ainsi, aujourd’hui, tout le monde a besoin de s’épanouir au travail, d’être reconnu dans sa singularité, de pouvoir évoluer au cours de sa carrière et d’avoir une activité variée, souligne le Dr Oberlin. Cela nécessite de la part des managers de prendre le temps de cette communication un peu informelle au quotidien, pour tisser du lien et permettre à chacun de se sentir concerné, en plus de l’entretien annuel individuel. » Les objectifs partagés sont également essentiels : il s’agit d’objectifs communs, de valeurs communes, qui sont au-dessus de tout.

Il ressort encore de ces recommandations qu’il faut sortir de la « communication-réunion », pour mettre en place une communication multidirectionnelle : affichage, réseaux sociaux, discussions individuelles informelles, temps de partage. Les réunions doivent être préparées avec un objectif clair, un ordre du jour, une durée limitée. La collaboration interprofessionnelle doit aussi être effective, car elle favorise la performance.

Les experts ont insisté sur la sécurité psychologique. Elle permet que les équipes soient en confiance pour mieux gérer les risques et mieux les repérer : « par exemple, en cas de faute, la première question à poser ne doit plus être ‘qui’, mais plutôt ‘pourquoi’ et ‘comment’ cet évènement indésirable a-t-il pu se produire, afin de mettre en place des solutions », poursuit le Dr Oberlin.

La gestion des conflits interpersonnels est un point délicat. Elle demande de ne pas trop réagir à chaud, mais aussi de ne pas trop attendre pour aborder le problème. Les experts proposent de trouver un accord autour d’une valeur supérieure au conflit pour emporter d’adhésion des différentes parties.

Il faut enfin du temps dédié, car manager est chronophage ! « Favoriser la motivation, mettre en œuvre un nouveau projet, gérer un conflit, etc., tout est lié et se travaille en amont. Si l’on veut développer les compétences, il faut avoir un projet et, pour cela, il faut une communication multidirectionnelle dans le groupe, et donc une sécurité psychologique, etc. Ainsi, chaque action compte. C’est un tout, qui va faire qu’il y aura une bonne qualité de travail et une bonne prise en charge des patients. Manager n’est pas inné, il faut se former, et pas seulement en théorie : les ateliers pratiques sont incontournables », insiste le Dr Oberlin.

Exergue 1 : Les tensions sont inhérentes aux structures de médecine d’urgence

Exergue 2 : « Avoir une certaine aisance naturelle ne suffit pas »

Entretien avec le Dr Mathieu Oberlin (Sélestat)

Dr Nathalie Szapiro

Source : Le Quotidien du médecin