Les « pivots » désorientés par Touraine

Les généralistes déplorent une stratégie sans moyens

Publié le 28/11/2013
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Crédit photo : S TOUBON

LES 400 MÉDECINS généralistes de MG France réunis en congrès à Marseille ont l’impression d’avoir été écoutés mais pas forcément entendus par Marisol Touraine. Lors de son déplacement dans la cité phocéenne, la ministre de la Santé a pourtant soigné son message. Elle a confirmé que les spécialistes de premier recours seraient les maillons essentiels de la réforme du système de santé qui prendra corps dans une loi avant la fin du premier semestre 2014. Marisol Touraine a paré le médecin traitant de toutes les vertus : « garant du parcours de soins »,« coordonnateur clinique de proximité » et « pivot de la prévention ». Des applaudissements ont conclu son intervention. Les généralistes ont toutefois sifflé le terme de « pivot », galvaudé par une succession de ministres de la Santé.

Où sont les millions?

Au-delà des propos agréables, les généralistes constatent le manque de moyens nouveaux. Marisol Touraine n’a cité aucun chiffre relatif à l’investissement des pouvoirs publics en faveur de la médecine générale. Et il n’a pas échappé à la profession que le budget de la Sécu 2014 ne réserve que 20 millions d’euros aux soins primaires... « Aujourd’hui, il y a un médecin traitant qui n’en a pas les outils, pas de secrétaires, pas de bases de données », résume le Dr Claude Leicher, président de MG France.

À Marseille, plusieurs acteurs de premier plan ont encouragé la réforme, sous réserve que les acteurs des soins ambulatoires disposent des moyens nécessaires. Président de l’Ordre national des médecins, le Dr Patrick Bouet, généraliste en Seine-Saint-Denis, ?est sorti de la réserve propre à sa fonction pour défendre « une profession qui doit rester un phare pour notre société en recherche de repères ».

Le patron de l’assurance-maladie mesure lui aussi les attentes. « Il faudra dégager les marges de manœuvre nécessaires aux professionnels qui travaillent en équipe, admet Frédéric van Roekeghem, directeur de la CNAM. C’est l’enjeu qui va s’ouvrir en 2014 avec les négociations interprofessionnelles sur les nouveaux modes de rémunération ». Avec deux messages à méditer : la contrainte budgétaire forte et la diversification à poursuivre de la rémunération. « Le paiement non lié à l’acte représente 12 % des honoraires contre 2 % en 2003 », a-t-il salué.

Quant aux patients représentés par Bernadette Devictor, présidente de la Conférence nationale de santé (CNS), ils encouragent eux-aussi le « recentrage sur les soins primaires, et le travail des professionnels de premier recours ».

Un seul flux.

Faute d’en savoir plus, les généralistes restent sur leur faim. « La ministre a reconnu notre travail. En fine politique, elle a fait des promesses mais elle n’a pas de budget », résume le Dr Valérie Vergé, généraliste à Poitiers (Vienne). Marisol Touraine a ainsi suggéré une extension possible du médecin traitant aux enfants de moins de 16 ans (encadré). « Elle s’est montrée à l’écoute, il faut qu’elle passe aux actes », ajoute Xavier Martin, généraliste à Vénissieux (Rhône). « La stratégie nationale de santé est une opportunité mais il faudra dynamiser l’enveloppe des soins de premier recours », renchérit le Dr Marie-Laure Alby, généraliste parisienne.

La crainte d’un régime de faveur pour l’hôpital n’a pas disparu. La profession vit mal, par exemple, les nouveaux crédits débloqués en cours d’année pour les hôpitaux sans qu’ils aient à rendre des comptes.

L’amertume est d’autant plus grande que beaucoup de praticiens de MG France confient une sensibilité « proche de celle du PS », comme l’expose l’un d’eux.

Défenseurs du parcours de soins, de l’interpro, des maisons de santé, des nouveaux modes de rémunération, les généralistes de MG France sont prêts à encourager aussi le tiers payant s’il est « simple, optionnel et garantit un seul flux pour les régimes obligatoires et complémentaires ». Bref, ils sont prêts à jouer le jeu de la réforme. Mais pas à s’engager pour rien.

CHRISTOPHE GATTUSO

Source : Le Quotidien du Médecin: 9284