Le cannabis est issu d’une plante d’une incroyable plasticité présentant une grande diversité biochimique. On y retrouve plus d’une centaine de cannabinoïdes, près de 500 composés non cannabinoïdes, en proportion variables selon l’organe de la plante et les conditions de culture, constituant autant de chémotypes. Sachant que cannabinoïdes, terpènes, flavonoïdes fonctionnent en synergie, on comprend mieux pourquoi il y a nécessité de mieux étudier les propriétés médicinales de ces composés.
Synergie botanique
Le concept de synergie botanique (Ben-Shabat et al.) est fondé sur le fait que le système endocannabinoïde montre un « effet d’entourage », dans lequel une variété de métabolites « inactifs » et de molécules étroitement apparentées augmentent sensiblement l’activité des cannabinoïdes endogènes primaires comme l’anandamide et 2-arachidonoyl-glycérols. Cela aide à expliquer comment les médicaments à base de plantes étaient souvent plus efficaces que leurs composants isolés (1).
Le Caryodiol est un médicament botanique chimotype de cannabis, agoniste CB2 avec une teneur accrue en caryophyllène (0,83%) et un rapport THC/CBD de type III (1/39,4) très favorable. Il pourrait constituer une préparation utile pour le traitement de la douleur, l’anxiété, la dépression ou les addictions. Mais cette piste intéressante nécessitera de définir les conditions de la production et surtout l’acceptation d’un médicament botanique dans la pharmacopée…
Pharmacopée du système cannabinoïde
La synthèse et l’étude d’une seule molécule reste le modèle dominant de la recherche et du développement pharmaceutique. Plus de 400 composés ont été identifiés dans le cannabis et étudiés séparément : le delta-9-tetrahydrocannabinol (∆-9-THC), classé comme stupéfiant, mais aussi le cannabidiol (CBD), le cannabinol (CBN), et le delta-9-tétrahydrocannabivarine (THCV).
Chez l’humain, on a montré le rôle central du système cannabinoïde dans les addictions, quelle que soit la substance consommée. L’agoniste/antagoniste rimonabant du récepteur CB1 s’est révélé efficace pour diminuer la consommation de nicotine et pour améliorer la capacité des fumeurs à arrêter de fumer. Toutefois il a été retiré du marché en raison du risque d’effets secondaires psychiatriques observés.
Sans surprise et malgré leur interdiction, les cannabinoïdes de synthèse (« spice », vendus comme « encens » sous forme de comprimé, poudre ou liquide) ont été rapidement diffusés à des fins récréatives. Ils sont fonctionnellement identiques au Δ-9-THC, produisent les mêmes effets mais plus intenses, et peuvent entrainer entre autres complications un syndrome aigu cannabinoïde (association de douleurs abdominales, nausées, vomissements récurrents soulagé par des bains d’eau chaude).
Ces substances, tout comme la résine et le shit, sont le plus souvent associées au tabac, fumé ou vapoté. Sur le plan physiologique le tabac augmente l’efficacité de vaporisation du THC jusqu’à 45% dans les conditions expérimentales (2). La nicotine potentialise également les effets pharmacologiques et biochimiques aigus du ∆-9-THC.
Le canabidiol dans les troubles addictifs
Le profil du cannabidiol (CBD) et son action sur le système endocannabinoïde en font un candidat intéressant dans la prise en charge des troubles addictifs. Cette substance psychoactive est d’ores et déjà disponible dans des boutiques ou sur internet, car elle échappe à l’interdiction de l’usage de cannabis (absence de THC), mais dans ces conditions sa composition est hasardeuse. En France, le CBD dispose d’une ATU avec l’Epidiolex pour le traitement de certaines formes d’épilepsie résistante de l’enfant (syndrome de Dravet et Lennox-Gastaut) et le Sativex (qui contient également du THC) pour les troubles de spasticité de la sclérose en plaques.
Comme le ∆-9-THC, le CBD se fixe sur les récepteurs cannabinoïdes cérébraux CB1 (3), avec une affinité environ 100 fois plus faible. Le CBD ne possède pas d’effets euphorisants ni de potentiel addictif, évalués notamment dans une étude randomisée en double aveugle, contre placebo. D’après des études chez l’animal et des études précliniques chez l’humain, il pourrait avoir des propriétés antipsychotiques, anxiolytiques, antiépileptiques et anti-inflammatoires.
Deux études se sont intéressées à l’utilisation du CBD dans la dépendance au tabac. Morgan et al. (4) retrouvent une réduction de consommation de cigarettes de 40% dans un essai contrôlé randomisé en double aveugle versus placebo, sans effet sur le craving. Le niveau de preuve reste quand même insuffisant, du fait d’un effectif réduit de participants (n=24) et de l’absence de mesure objective du niveau de consommation de cigarettes.
Hindocha et al. (5) ont mesuré la déviation attentionnelle envers le tabac et l’attrait pour le tabac chez les fumeurs après administration de CBD, versus placebo. Après une nuit d’abstinence, les performances attentionnelles se sont révélées meilleures dans le groupe CBD ; parallèlement, l’attrait pour le tabac était plus faible dans ce même groupe. En revanche aucun effet n’a été mis en évidence sur les signes de sevrage nicotinique. Comme dans les autres pathologies, la place du cannabidiol dans la prise en charge du tabac reste à confirmer.
Service addictions, G.H. Paul Guiraud (1) Russo E.B. The Case for the Entourage Effect and Conventional Breeding of Clinical Cannabis: No “Strain,” No Gain. Front. Plant Sci. 2019 9:1969 (2) Van der Kooy F, Pomahacova B, Verpoorte R. Cannabis Smoke Condensate II: Influence of Tobacco on Tetrahydrocannabinol Levels Inhal Toxicol. 2008 ; 14:1 (3) Angervile B. Dervaux A. Cannabidiol où en est on ? Le Courrier des addictions 2017 ;19 (3) 24-25 (4) Morgan CJA, Das RK, Joye A, Curran HV, Kamboj SK. Cannabidiol reduces cigarette consumption in tobacco smokers: preliminary findings. Addict Behav. 2013;38(9):2433‑6. (5) Hindocha C, Freeman TP, Grabski M, Stroud JB, Crudgington H, Davies AC, et al. Cannabidiol reverses attentional bias to cigarette cues in a human experimental model of tobacco withdrawal. Addiction. 2018;113 1696-1705
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