C’est un discours courant chez les médecins spécialistes de la reproduction et les associations de patientes : la France ne propose pas un accès assez large au diagnostic préimplantatoire (DPI), actuellement réservé aux parents susceptibles de transmettre certaines maladies génétiques graves et incurables, comme la dystrophie musculaire de Duchenne ou l'hémophilie. « Il n’y a aucune logique dans la situation actuelle, se plaint le Pr Samir Hamamah, auteur du rapport sur l’infertilité remis au début de l’année au gouvernement. Un même embryon peut bénéficier d’un DPI pour une maladie grave comme la mucoviscidose mais pas pour une autre comme la trisomie 21. »
Mais le DPI-A, utilisé pour identifier des aneuploïdies, permet-il véritablement d’éviter des transferts d’embryons inutiles et d’améliorer les chances de naissances vivantes ? Aux États-Unis, où le DPI-A concerne environ un quart des assistances médicales à la procréation (AMP), des études de cohortes rétrospectives ont bien montré un plus grand nombre de naissances vivantes par cycle de FIV (1).
Chez les femmes jeunes, la plupart des embryons sont génétiquement normaux, et le test n’a donc que peu d’intérêt
Dr Nathalie Sermondade, biologiste à l’hôpital Tenon (Paris)
Des résultats à manier avec prudence
Dans la plus vaste de ces études, les femmes pour lesquelles un DPI-A a été fait avaient 22 % de chances en moins de bénéficier d’un transfert d’embryon mais 15 % de chances en plus d’obtenir une grossesse et 21 % de chances en plus d’avoir une naissance vivante, comparées à celles sans DPI-A. C’est après 38 ans que les chances de grossesses vivantes augmentent le plus significativement : +67 %, contre +27 % entre 35 et 38 ans. En dessous de 35 ans, les différences sont pas significatives entre les deux groupes, un résultat confirmé par l’importante étude randomisée Star (3) de 2019. « Chez les femmes jeunes, la plupart des embryons sont génétiquement “normaux”, et les tester au niveau génétique n’a donc que peu d’intérêt », analyse la Dr Nathalie Sermondade, médecin biologiste à l’hôpital Tenon (AP-HP) qui a amassé une impressionnante littérature sur le sujet.
Toute cette littérature a fait l’objet d’une revue Cochrane en 2021 qui concluait qu’il « n’y avait pas de preuves de bonne qualité d’une différence de taux de naissances vivantes cumulées, de taux de naissances vivantes après un premier transfert d’embryon ou de risque de fausses couches ». Fortes de ces données, l’Association américaine de médecine reproductive et l’autorité du Royaume-Uni en matière d’embryologie et de fertilité (HFEA) ont toutes les deux conclu que l’intérêt du DPI-A pour améliorer les chances de succès de l’AMP reste à démontrer.
Un intérêt pour des couples bien sélectionnés
« Ce qui est important à retenir, complète la Dr Sermondade, c’est que le DPI-A peut être un ajout pour certains couples : par exemple quand la femme est âgée, avec beaucoup d’embryons mais un taux d’anomalies important, et avec des attentes raisonnables ». Au-delà de la question de l’utilité d’un examen comme le DPI-A, encore faut-il s’assurer qu’il soit correctement réalisé et interprété. « Nous ne sommes pas encore suffisamment formés aux biopsies embryonnaires en France », explique la Dr Sermondade.
Nous ne connaissons pas bien comment fonctionnent les mécanismes de réparation
Pr Michaël Grynberg, gynécologue et chercheur à Clamart
Pour ce qui est de l’interprétation : le diagnostic d’aneuploïdie n’est pas nécessairement synonyme de grossesse ratée. En effet, une biopsie va prélever entre 5 et 10 cellules du blastocyste qui en compte environ 200 avec un mosaïcisme extrêmement fréquent, et même considéré comme physiologique dans certaines études. D’où un risque non négligeable de faux positifs et de faux négatifs.
Pour compliquer le tout, les données sont encore parcellaires concernant les capacités des embryons à corriger l’aneuploïdie. « Il existe un cas documenté d’embryon dont le trophectoderme comportait 35 % de cellules aneuploïdes lors de la biopsie, puis 2 % lors de l’amniocentèse réalisée pendant la grossesse, raconte la Dr Sermondade. Quand l’enfant est né, moins de 1 % des cellules qu’on lui prélevait étaient toujours aneuploïdes. » Des capacités d’autocorrection ont été décrites tout d’abord dans un modèle de souris, puis dans des embryons humains. L’hypothèse privilégiée est celle de la déplétion clonale : un arrêt de la mitose des cellules aneuploïdes au cours du développement, progressivement remplacées par des cellules normales. « Nous ne savons pas bien comment fonctionnent ces mécanismes de réparation, ajoute le Pr Michaël Grynberg, gynécologue à l’hôpital Antoine-Béclère, à Clamart (AP-HP). Il nous faudra faire des recherches si l’on veut exploiter correctement le DPI-A. »
(1) M. Haviland et al., Human Reproduction, , octobre 2020. doi: 10.1093/humrep/deaa161
(2) K. Sanders et al., Journal of Assisted Reproduction and Genetics, novembre 2021, vol 38, p3277–3285
(3) S. Munné et al., Fertility and Sterility, septembre 2021, vol 112, p 1071-1079
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