« NOUS PARTÎMES cinq cents mais par un prompt renfort nous nous vîmes trois mille en arrivant au port. » La cornélienne citation n’est pas assez forte pour décrire le parcours en France des médecins dits « à diplôme étrangers ». Car leur contingent, maigrissime au milieu des années 1970, est passé à 15 000 au détour de l’an 2000.
Ces praticiens sont d’une certaine manière, les enfants du numerus clausus. Il y a 35 ans, la France qui venait de se doter d’hôpitaux gigantesques avait besoin d’une main-d’œuvre que ses effectifs désormais « restreints » de médecins en formation (lire aussi page 26) ne pouvaient pas lui assurer. Du Proche-Orient, puis d’Afrique, d’Amérique du Sud, des pays de l’Est… ces « PADHUE » (pour praticiens à diplôme hors Union européenne) sont donc venus, au fil des années et des situations politiques locales, y exercer leur art. Pour la plupart, ces médecins pensaient s’exiler momentanément. Parce qu’ils venaient simplement compléter leur formation ou parce qu’ils fuyaient une guerre qu’ils imaginaient courte. Ils sont finalement restés – pour des raisons diverses, souvent ils ont tout simplement croisé l’âme sœur en France, y ont eu leurs enfants.
Leur parcours professionnel collectif a été chaotique, semé d’embûches. Mais l’histoire se finit plutôt bien : cantonnés pendant plus de vingt ans aux statutx de FFI (faisant fonction d’interne) ou d’associé, soumis à l’abattage des gardes, les médecins à diplôme étranger sont aujourd’hui PH (à temps plein pour quelque 6 000 d’entre eux, à temps partiel pour 2 000), chefs de service ou chefs de pôle ; certains sont présidents de CME. Entre 600 et 800 ont quitté le giron hospitalier et se sont installés en ville. Aujourd’hui, les premiers arrivés ont commencé à prendre leur retraite…
1993 : le réveil.
Jusqu’au début des années 1990, ces praticiens ne se sont ni comptés ni, partant, identifiés comme un groupe. Si leur salaire de base ne pèse pas lourd, les gardes permettent d’arrondir les fins de mois. Jusqu’à ce que, coup de tonnerre, le ministère de la Santé décide, en 1993, s’appuyant sur un arrêté vieux de cinq ans, que cette permanence des soins est bien trop cher payée. « Du jour au lendemain, les pouvoirs publics se sont dit "tous ces attachés associés n’ont pas le plein exercice, il faut leur payer leurs gardes non pas comme à des seniors mais comme à des étudiants en formation" », se souvient l’un d’entre eux. Cet événement sonne le réveil des « médecins étrangers » (raccourci impropre puisque beaucoup ont acquis la nationalité française). Il se crée des comités et des syndicats (le CMDE, emmené par le Dr Mohammed Ettahiri est le premier ; le SNPAC puis l’INPADHUE vont suivre ; plus tard, la HALDE s’en mêlera…). Les médecins « à accent » prennent conscience de leur existence, de leur force – ils sont alors 10 000 et font localement tourner à eux seuls des services hospitaliers entiers – et de leurs faiblesses – ils sont des « précaires », ne sont pas inscrits au tableau de l’Ordre, n’ont la qualification qu’en médecine générale quand ils ont de la chance, jamais dans leur spécialité – ; ils se défendent. En 1994, Simone Veil crée pour eux un statut sur mesure : celui de praticien adjoint contractuel (PAC, accessible par concours), que Bernard Kouchner « enrichira » et normalisera cinq ans plus tard en y raccordant une passerelle vers le statut de PH – le recrutement des PAC s’arrêtera en 2002.
En 2006, Xavier Bertrand finalise un dispositif global d’accueil en France des médecins étrangers, baptisé PAE (pour « procédure d’autorisation d’exercice »). Son but est double : fixer des règles pour les nouveaux arrivants ; régulariser définitivement la situation de ceux qui sont déjà dans les hôpitaux français mais qui, pour faire simple, ont échappé aux mailles du PAC. Ce processus de régularisation s’achève cette année. Avec la PAE, l’État s’est-il garanti contre toute constitution d’un nouveau contingent de médecins étrangers « irréguliers » ? En théorie, oui. En pratique, peut-être pas, redoute, à la Fédération des praticiens de santé (FPS, anciennement SNPAC), le Dr Hani-Jean Tawil, car des biais subsistent, notamment celui des stages effectués en France par les médecins étrangers via les formations DFMS et DFMSA… L’histoire peut encore bégayer.
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