En Bretagne, l’hospitalisation à domicile (HAD) présente la particularité de réaliser une part d’intervention en établissement social et médicosocial (ESMS) supérieure à la moyenne : 15 % contre 10 % au niveau national. Basée à Lorient, la structure associative « de l’Aven à Étel », qui prend en charge près de 180 patients par jour, dont une grande majorité de personnes âgées, reflète parfaitement cette évolution. « Face aux effets délétères des admissions non programmées pour les résidents d’Ehpad, nous avons très rapidement veillé à proposer une alternative et à faire vivre la mesure 5 du Pacte de refondation des urgences qui incite à généraliser les parcours dédiés aux personnes âgées », explique le Dr Bruno Lapoujade, médecin coordonnateur HAD.
Parmi les éléments facilitateurs de la démarche, il cite la mise en place et le financement, depuis janvier 2022, des évaluations anticipées qui permettent d’identifier les résidents dont l'état de santé est susceptible de se dégrader à court terme. « Deux infirmières de notre équipe sont dédiées aux Ehpad, notamment pour effectuer cette mission de repérage. Elles peuvent aussi être appelées pour d’autres problèmes, des insuffisances d’organes parfois avancées par exemple. Il est important d’accompagner les décompensations et l’inconfort qui en résultent sur le lieu de vie des résidents car ceux-ci sont souvent polypathologiques et fragiles. L’âge moyen des résidents que nous suivons en établissement est de 87 ans », poursuit le médecin coordonnateur.
Les équipes ont également pour mission de se mobiliser très vite – le plus souvent dans la demi-journée – pour accompagner les « situations non anticipables », à domicile ou en Ehpad, un accident vasculaire cérébral massif au-delà de toute ressource thérapeutique par exemple, avec toujours le même objectif de raccourcir au maximum le passage par un plateau technique, voire de l’éviter.
Huit infirmières de liaison passent régulièrement dans les structures partenaires du territoire afin de repérer les patients éligibles à l’HAD
Pour optimiser cette fluidité entre les différents acteurs et développer l’HAD sur le territoire, huit infirmières de liaison sont basées ou passent régulièrement dans les centres hospitaliers et structures partenaires du territoire afin de repérer les patients qui pourraient être soignés sur leur lieu de vie. Et un travail d’acculturation à cette nouvelle configuration du soin est parallèlement mené par ces professionnelles dans les ESMS.
L’HAD « de l’Aven à Étel » est aussi très impliquée dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et les dispositifs d’appui à la coordination (DAC). « Notre gouvernance est constituée de quatre collèges : les établissements de santé, les professionnels libéraux, les services à domicile et les usagers, ce qui nous permet de développer des activités en lien avec tous les besoins exprimés sur le terrain, explique Olivier Bonaventur, le directeur général. Si je prends le sujet de la démographie professionnelle, deux points de vigilance concernent les services d’aide à la personne et les médecins traitants. Pour répondre à ces tensions, nous avons largement renforcé notre équipe médicale - qui compte neuf médecins - et nous travaillons en complémentarité avec toutes les ressources du territoire ». Dans le champ de la rééducation par exemple, l’équipe de l’HAD a été renforcée par des professionnels détachés du centre de séjour et de soins de Kerpape.
L’apport des nouvelles technologies
Les nouvelles technologies ont également joué un rôle capital dans le déploiement de cette alternative à l’hospitalisation classique. Sans surprise, la télé-expertise représente une aide précieuse, pour l’examen de plaies complexes par exemple. « Et nous envisageons d’étendre son usage aux équipes de nuit », souligne le Dr Bruno Lapoujade. Depuis février 2024, une infirmière inter-Ehpad de nuit est venue en renfort de l’infirmière de nuit HAD déjà en place. Toutes deux répondent au téléphone et se déplacent en cas de besoin entre 21 heures et 7 heures du matin dans l’un des 13 ESMS qui ont conventionné avec le service, un chiffre amené à doubler dans les prochains mois. « Sur les 34 Ehpad que couvre notre territoire de santé, aucun n’a d’infirmière de nuit. Nos soignantes peuvent intervenir en cas de difficultés respiratoires, de chutes, de problèmes liés à une sonde urinaire, un encombrement… Elles peuvent mettre en œuvre une prescription médicale anticipée – en injectant un antidouleur à un patient dont l’oralité ne permet pas la prise d’un antalgique par exemple - et elles pourront donc bientôt recourir à la télé-expertise », explique le médecin. Une solution qui présente trois avantages à ses yeux : ne pas retarder la prise en charge, éviter un transfert aux urgences et repérer un besoin de médicalisation accrue nécessitant à court terme la mise en place d’une HAD. « Nous nous appuyons aussi beaucoup sur le monde libéral, complète-t-il. Pour les patients en HAD, nous mandatons des professionnels de ville pour réaliser des perfusions ou des soins plus techniques, y compris en pleine nuit. Nous répondons doublement présents ! ».
L’HAD de l’Aven à Étel envisage par ailleurs le développement de nouvelles activités. « Notre objectif est de créer de nouvelles prises en soin, comme la transfusion par exemple, et d’expérimenter, aux côtés de la FNEHAD, un service d’urgences palliatives. Il s’agit là encore de proposer des solutions aux centres 15 et d’éviter le recours aux urgences », détaille Olivier Bonaventur.
En Bretagne comme sur le reste du territoire, l’hospitalisation à domicile réussit ainsi le double pari de répondre à l’enjeu du vieillissement et… aux tensions hospitalières. Les chiffres ne trompent pas : selon la FNEHAD (Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile), le nombre de journées d’HAD en Ehpad est passé entre 2013 et 2022 de 200 000 à 678 000.
L’Inspection générale des affaires sociales bouscule les idées reçues sur le grand âge
Les auteurs du rapport publié en mars 2024 (1) notent que plus de trois quarts des personnes âgées en perte d’autonomie – un peu plus de la moitié pour celles qui sont lourdement dépendantes (GIR 1 et 2) – vivent à domicile grâce à « une très forte mobilisation de l’entourage (36 heures hebdomadaires contre moins de 9 heures pour les professionnels) ».
Si les auteurs indiquent que « le maintien au domicile de la personne est l’objectif premier », ils pointent le coût plus élevé et plus chronophage pour les soignants de cette modalité d’accompagnement dans un contexte de raréfaction des ressources professionnelles. « Il est des situations où l’accueil en institution ou dans un lieu intermédiaire est préférable dans l’intérêt même de la personne », poursuivent-ils. D’où leur appel à « une forte mobilisation des pouvoirs publics vers les domiciles, ordinaire et alternatif, autant que vers les Ehpad ». La mission préconise également de construire d’ici 2030, 100 000 logements en résidences autonomie, de rénover le parc existant, de sécuriser les conditions de développement et de fonctionnement des habitats alternatifs (qui ne représentent que 2 % des lieux de vie des personnes âgées dépendantes) ou encore d’engager un plan national de transformation domiciliaire des Ehpad.
(1) Lieux de vie et accompagnement des personnes âgées en perte d’autonomie : les défis de la politique domiciliaire - Se sentir chez soi où que l’on soit, Dr Julien Emmanuelli, Jean-Baptiste Frossard, Bruno Vincent (Inspection générale des affaires sociales), 29 mars 2024.
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