LE QUOTIDIEN : Vous avez chapeauté les recommandations « Préservation de la santé sexuelle et cancers » de l'Association francophone des soins oncologiques de support (AFSOS), récemment publiées avec le label INCa*. Que faut-il en retenir ?
Dr PIERRE BONDIL : Informer sur la morbidité sexuelle devient un droit pour les malades et un devoir pour les soignants. Près de 6 millions d’adultes français (malades, partenaires, parents) sont potentiellement concernés ! Il faut le faire pour tous les cancers, de la phase d'annonce à l'après-cancer, pendant et après le traitement.
Quel est le plus urgent pour y parvenir ?
Identifier les ressources disponibles pour que l'offre de soins devienne enfin visible et accessible, raison pour laquelle nous réalisons une enquête nationale avec les réseaux de cancérologie pour connaître les nombreux territoires où il y a des manques.
Quelles sont les autres urgences à combler ?
Légitimer la demande car les besoins sont importants, mais les patients osent peu en parler. Ils attendent que cela vienne du professionnel de santé, or il y a encore des lacunes dans ce domaine. Les soignants vraiment à l'aise sur ce sujet et donc, qui abordent la question, sont encore trop peu nombreux. Même si la grande majorité est convaincue que c'est important d'en parler, cela demande une formation avec des référentiels de bonnes pratiques et une organisation structurée. La publication de ce nouveau référentiel labellisé par l'INCa est une première grande étape.
Comment s'y prendre ?
Simplement en demandant s'il y a des problèmes dont le malade voudrait parler. Cela permet d'ouvrir le dialogue (sachant que pour environ un tiers des malades, cela n'a pas d'importance). S'en occuper permet aussi d'avoir une approche de l'état global de la santé et notamment de repérer des troubles de l'humeur (cause fréquente de baisse du désir), de dépister des effets indésirables des traitements à l'origine d'un arrêt anticipé (par exemple, hormonothérapie pour cancer du sein à l'origine de sécheresses vaginales). Point clé, s'occuper de la santé sexuelle, c'est aussi s'occuper de la santé globale et de l'adhésion au traitement.
Quels sont les principaux problèmes rencontrés ?
Les principales dysfonctions sexuelles sont l’insuffisance érectile masculine, la sécheresse vaginale avec dyspareunie, et la baisse du désir et du plaisir (homme/femme). Ainsi, les problématiques sont souvent simples : informer et rassurer, puis, si besoin, orienter ou prescrire un traitement de première ligne (type inhibiteur de la PDE5, hydratant/lubrifiant vaginal) sont souvent suffisants. Seuls les cas complexes relèvent d'un avis d'expert. Il faudra bien tenir compte de « l'expérience patient », c'est-à-dire de ce que souhaite le patient et de comment il perçoit la qualité de la réponse obtenue. À toutes les étapes, la pudeur et la confidentialité doivent être respectées.
Qu'en est-il de cette question au stade des soins palliatifs ?
La question est encore plus négligée alors que la qualité de vie devrait être au centre des préoccupations à ce stade ! Les enquêtes montrent une demande de vie intime réelle, mais méconnue en raison des idées reçues.
Comment aborder la question de la sexualité en pratique ?
On peut le faire de façon détournée, en parlant de contraception par exemple ou encore des effets indésirables potentiels des traitements et de retentissement sur la vie de couple. Une phrase passe-partout, simple à poser, permet d'aborder le sujet de façon légitime, en tant que soignant : « On sait que le cancer ou ce traitement peut avoir un impact sur la vie sexuelle, est-ce que cela a entraîné une difficulté pour vous ou au sein de votre couple ?».
La santé sexuelle est-elle plus affectée par certains cancers ?
La question est évoquée plus facilement lors de cancers du sein et génitaux. Mais tous les cancers ont un impact négatif potentiel direct ou non, qu'il s'agisse d'effets indésirables (type fatigue, nausées, douleurs, perte de pilosité) ou de séquelles : fonctionnelles, stomie, cicatrices, etc.
Y a-t-il des écueils à éviter ?
Une clé est de ne pas parler de sexe et de sexualité (ce qui peut mettre mal à l'aise certains patients ou soignants), mais plutôt de troubles de la santé sexuelle ou de l'intime, domaine de légitimité d'un soignant. Avoir une vie sexuelle n'étant ni obligatoire ni interdit, il faut que ce soit proposé et non imposé. Le patient ou le couple doit sentir qu'il peut en parler, mais que s'il le souhaite et quand il le souhaite. Une autre question à poser est : « Avec votre partenaire, tout se passe bien ?». Cela permet de repérer des difficultés dans le couple et si le partenaire peut être une ressource aidante ou s'il est en grande détresse émotionnelle.
Est-il vrai que le cancer sépare les couples ?
Contrairement à une idée reçue, le cancer sépare peu les couples (10 % et pour la plupart, déjà dysfonctionnels avant le cancer). Au contraire, le cancer les renforce dans 40 % des cas environ.
*https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-public…
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