Les difficultés de prise des biberons après échec du sein relèvent de nombreuses causes (neurologiques, malformatives, ORL, cardiaques, digestives…) et il est important, pour les identifier, de revenir à la sémiologie. Souvent, il s’agit juste d’un biberon pas confortable ou d’allure douloureuse, qui peut être lié à un reflux gastro-œsophagien, une allergie aux protéines du lait de vache (APLV), une constipation, des coliques, mais aussi parfois à une dystonie neurologique. Le forçage risque de favoriser l’entrée dans un cercle vicieux, le stress de l’expérience corporelle négative entraînant la mise en route du circuit de la méfiance aussi vite que celui de la récompense.
Autre situation fréquente : les difficultés de passage de la tétée au sein à celle du biberon qui, elles aussi, peuvent conduire à un véritable cercle vicieux, refus-pleurs-sein réconfort- nouveau refus etc. Chez un nourrisson dont la mère est végétarienne, il faut penser à rechercher une carence en vitamine B12, qui ne se traduit pas toujours par un taux de vitamine B12 abaissé, mais qui entraîne une élévation des taux d’acide méthylmalonique et d’homocystéine.
Passage aux textures grumeleuses
La sensibilité aux textures grumeleuses, avec réflexe nauséeux exacerbé, est aussi fréquemment rencontrée lors de l’expérimentation des gnosies endobuccales, au début du malaxage et de la mastication. En cas de réaction de peur, de problème somatique sous-jacent ou de fausse-route traumatique, la situation peut perdurer.
Irritabilité sensorielle
Entre un et six ans, les parents sont nombreux à rapporter des difficultés alimentaires (de 28 à 70 % à un an, de 6 à 60 % chez les plus âgés) mais, après évaluation médicale, leur prévalence réelle ne serait que de 2 à 3 %. Le recours à l’échelle de Montréal (MCH-FS) permet de mieux objectiver leur réalité.
Certaines pathologies organiques sont associées à des troubles du comportement alimentaire du petit enfant (TCAPE) : digestives comme l’APLV, l’œsophagite, la maladie cœliaque, extradigestives comme une tubulopathie ou une insuffisance rénale, une pathologie chronique cardiaque ou hépatique, une maladie métabolique, une tumeur diencéphalique, une pathologie neuromusculaire ou neurologique, un syndrome d’apnées obstructives du sommeil, un trouble précoce du spectre de l’autisme, etc.
Mais souvent, il s’agit juste d’une irritabilité sensorielle, qui peut conduire à un TCAPE fonctionnel, volontiers associé à des troubles fonctionnels intestinaux. L’absence d’exploration buccale lors des premiers mois de vie est fréquemment rapportée chez les enfants qui rencontreront ultérieurement des difficultés alimentaires d’ordre sensorielles. Il est donc important de respecter la chaîne sensorielle chez le tout-petit, orale et périorale, tactile, olfactive et visuelle.
Enfin, il ne faut pas oublier le cas des petits mangeurs, dont la croissance staturo-pondérale est normale et dont l’un des deux parents présentait aussi fréquemment ce petit appétit.
Arfid après six ans
Après l’âge de six ans, le DSM V décrit l’Arfid (Avoidant restrictive food intake disorder), désordre alimentaire marqué par une aversion de l’alimentation entraînant une perte de poids et/ou un déficit nutritionnel significatif, différent de l’anorexie et de la boulimie et sans pathologie médicale pouvant l’expliquer.
Cette entité, dont la prévalence a été estimée à 2,7 % dans une étude épidémiologique française, regroupe trois profils d’enfants : ceux ayant une variété limitée d’apports alimentaires secondaire à une hypersensibilité sensorielle, ceux qui ont peur des conséquences éventuelles de la prise alimentaire (étouffement, vomissements) et ceux qui ont un manque d’intérêt au fait de manger. À l’origine de ces difficultés, on retrouve souvent un problème de parentalité, avec notamment un lien entre l’attitude permissive maternelle, dont les motivations et les stratégies sont dictées par les préférences de son enfant, et l’intensité des troubles. La prise en charge passe le plus souvent par des mesures nutritionnelles et éducationnelles, les parents devant retrouver une douce fermeté.
Exergue : Le forçage risque de favoriser l’entrée dans un cercle vicieux
Communications des Prs et Drs Véronique Abadie (Paris), Marc Bellaïche (Paris) et François Feillet (Nancy)
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