En octobre 2021, la FDA américaine a lancé un premier colloque sur la pharmacologie fœtale. L'agence a, depuis, identifié plusieurs classes de médicaments et de traitements qui pourraient faire l'objet d'une autorisation pour une utilisation in utero : les oligonucléotides antisens et les thérapies d'édition du génome.
« Je vois un frémissement possible en Europe avec la nouvelle législation du médicament qui arrivera entre 2024 et 2026 », espère le pharmacologue Jean-Hugues Trouvin, ancien responsable à l'Agence nationale du médicament (l'Afssaps à l'époque, devenue l’ANSM). Il est prévu des « bacs à sable » pour tester des modèles de réglementation plus adaptés à de nouveaux types de traitements.
En attendant, les niveaux de preuve exigés pour autoriser et encadrer une procédure de chirurgie fœtale ne sont guère appropriés. Le Pr Yves Ville (service obstétrique, maternité, chirurgie, médecine et imagerie fœtales, Necker-Enfants malades) en a fait l'expérience lorsqu'il travaillait sur l'opération de la hernie diaphragmatique congénitale.
Depuis 15 ans, cette pathologie très hétérogène dans sa gravité (10 % de survie fœtale pour les cas les plus sévères) se traite par la pose d'un ballon au-dessus de la carène trachéale. Les échanges avaient été difficiles avec les tutelles. « Nous sommes sortis des études car nous étions opposés à la randomisation, détaille-t-il. Éthiquement, nous ne pouvions pas laisser la moitié de ces femmes sans traitement. Nous sommes entrés en conflit avec l'ANSM car nous proposions aux femmes qui avaient refusé d'entrer dans l'étude de se faire opérer quand même. »
Il peut ne pas être éthique de laisser la moitié des femmes sans traitement
Les infections à CMV
« De manière générale, la randomisation contre placebo n'est pas adaptée à la chirurgie, abonde le Pr Julien Stirnemann, également médecin à l’hôpital Necker-Enfants malades. C'est encore plus vrai avec la chirurgie in utero. » Le problème s'est également posé récemment avec le létermovir, un nouveau traitement très efficace contre l'infection au cytomégalovirus (CMV), réservé pour l'instant aux patients transplantés à cause de son coût, de l'ordre de 400 euros le comprimé.
« Il y a un consensus pour dire que son utilisation pour traiter les infections fœtales est possible », explique le Pr Ville. De plus, le dépistage de l'infection au CMV pendant la grossesse a été inscrit dans la dernière loi de financement de la Sécurité sociale. « Il y a quinze ans, on avait tenté de faire une étude randomisée, valaciclovir contre placebo, se souvient le Pr Ville. Mais en un an, une seule patiente est entrée car, sachant que le fœtus était infecté, les patientes n’ont pas voulu courir le risque de recevoir un placebo. » Des données d'efficacité du valaciclovir ont été publiées depuis et le Pr Ville a lancé il y a quelques mois une nouvelle étude comparant le valaciclovir au létermovir, avec beaucoup plus de succès. « On peut très bien dire qu'un traitement fonctionne ou pas, sans avoir systématiquement recours à un essai randomisé contre placebo », conclut le Pr Ville.
L'hétérogénéité des malformations fœtales complique l'évaluation, comme dans l’obstruction urinaire basse, très fréquente en urologie pédiatrique. « Cela fait quarante ans qu'on opère in utero pour poser un drain et éviter la pression urinaire rétrograde, raconte le Pr Ville. Mais il y a une telle variabilité dans la gravité ou l'expression des symptômes qu'on n'est jamais parvenu à démontrer que cela augmentait les chances d'une fonction rénale normale. En revanche, on sait que cela améliore la survie, quel que soit le niveau d'attente. »
Pas de circuit spécifique pour l'AMM
Du point de vue réglementaire, la médecine fœtale n'a pas de cadre spécifique, comme l'explique Jean-Hugues Trouvin : « Si l'on prend l'exemple d'un antiarythmique, il n'y a clairement rien dans l'autorisation de mise sur le marché (AMM) qui permette de l'administrer directement au fœtus, explique-t-il. Il faudrait développer des prérequis comme il en existe pour d'autres populations à risque comme les femmes enceintes, les personnes âgées ou les nouveau-nés ».
Selon l'ANSM, contactée par Le Quotidien, un médicament destiné à une utilisation chez le fœtus suit le circuit réglementaire habituel mais doit bénéficier d'un accompagnement par les groupes de travail de l'Agence européenne du médicament (EMA), le SAWP (Scientific Advice Working Party), le comité pédiatrique Pedco ainsi que le CAT (Committee for Advanced Therapies) pour l’éventuel aspect thérapie génique. « Une analyse bibliographique sur les résultats des alternatives existantes est également la bienvenue », nous précise-t-on.
Au niveau européen, les mentalités évoluent : le 30 septembre dernier, l'EMA terminait une consultation publique sur les caractéristiques que doit rassembler une étude à simple bras pour être acceptée dans le cadre d'une demande d'AMM. Cela pourrait-il faire avancer la médecine fœtale ? La réponse n'est pas univoque dans le document en cours d'élaboration : ce type d'études peut être retenu en cas de probabilité quasi nulle d'amélioration spontanée, mais ne saurait l'être en cas d'hétérogénéité de patients ou de trajectoire.
Article suivant
Le syndrome transfuseur-transfusé, un cas d'école
Une réglementation à adapter
Le syndrome transfuseur-transfusé, un cas d'école
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?