Comment la pollution cause le cancer : découverte du chaînon manquant

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Publié le 19/04/2024
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Si le lien entre pollution atmosphérique et cancer bronchique est aujourd’hui bien avéré, les mécanismes physiopathologiques en cause commencent seulement à être un peu mieux compris.

Près de 7 % des cancers du poumon seraient directement dus aux particules fines

Près de 7 % des cancers du poumon seraient directement dus aux particules fines
Crédit photo : ALLILI MOURAD/SIPA

Le lien entre pollution et cancers est évoqué depuis longtemps. « Une des premières grandes études épidémiologiques a été celle du Pr Richard Doll, parue dans le BMJ du 30 septembre 1950, qui émet l’hypothèse que l’augmentation des cas de cancer du poumon est probablement liée à la pollution atmosphérique et au tabac. Il le démontre pour le tabac, mais il faudra attendre plusieurs décennies pour que cela soit démontré pour la pollution », raconte le Pr Alexis Cortot (CHU de Lille).

C’est en effet au début des années 1950, au moment de l’essor de l’industrialisation, que les facteurs environnementaux commencent à inquiéter. Les conséquences à long terme de la pollution n’ont vraiment été démontrées que dans les années 2010, grâce à des études épidémiologiques incluant plusieurs millions de personnes, en particulier l’étude européenne Escap (1) et l’étude américaine ACS CPS-II (2).

Incidence et mortalité, des données solides

Dans l’étude européenne, on constate une variété de niveaux d’exposition aux particules fines PM2,5 selon les pays et au sein d’un même pays. Le lien est significatif entre l’exposition aux PM2,5 et l’incidence du cancer du poumon, avec une augmentation de l’incidence estimée à +18 % par augmentation de 5 µg/m3 des PM2,5.

L’étude épidémiologique américaine, qui a porté sur plus d’un million de personnes dont près de 200 000 non-fumeurs, s’est intéressée pour sa part au lien entre l’exposition aux PM2,5 et la mortalité par cancer du poumon (qui est un bon reflet de l’incidence). Le surrisque de mortalité se situe entre +15 et +27 % par augmentation de d’exposition de 10 µg/m3. « Ce lien est indépendant du statut tabagique, cela a été confirmé par l’étude des sujets non-fumeurs », souligne le Pr Cortot, ajoutant que les autres polluants ont été assez peu étudiés dans la littérature.

On estime que chaque année dans le monde, entre 200 000 et 300 000 décès par cancer du poumon sont dus à la pollution.

Une étude réalisée dans la métropole grenobloise a montré que 6,8 % des cancers du poumon pouvaient y être attribués à la pollution. Il n’y aurait pas de différence entre les hommes et les femmes.

« Un effet synergique est probable entre la consommation de tabac et l’exposition à la pollution atmosphérique », ajoute le Pr Cortot.

Il apparaît aussi que les cancers, chez des patients exposés à la pollution, sont de plus mauvais pronostic, surtout quand ils sont de stade localisé (cela ne se retrouve pas au stade métastatique).

Au total, le lien entre pollution et cancer du poumon est avéré. De fait, le Centre international de la recherche sur le cancer (Circ) de l’organisation mondiale de la santé (OMS) a classé les PM2,5 comme agents cancérigènes certains.

Un modèle de carcinogénèse à deux étapes

Mais les mécanismes physiopathologiques impliqués dans la relation pollution/cancer bronchopulmonaire restent encore mal connus. Les données sur l’effet des particules fines sont assez modestes. Les polluants génèrent un stress oxydatif et une inflammation chronique qui pourraient favoriser l’apparition de cancers. « Il y aurait aussi un effet directement toxique sur les cellules pulmonaires. Et, si l’on regarde le profil des tumeurs exposées aux polluants, on pense que ce sont plutôt des évènements épigénétiques qui sont en jeu, agissant sur la conformation de l’ADN plus que sur l’altération de séquences », explique le Pr Cortot.

« Les résultats de l’étude menée à Londres en 2023 par l’équipe de Charles Swanton (3) ont récemment apporté le chaînon manquant pour notre compréhension du lien entre pollution et cancer du poumon, poursuit-il, en particulier chez les non-fumeurs. » L’étude a d’abord démontré une association dose-dépendante entre l’exposition aux PM2,5 et l’incidence estimée des CBNPC mutés EGFR (principalement présents chez les non-fumeurs, représentant 10 à 12 % des cas de cancers en France). Les mutations EGFR peuvent être retrouvées chez des sujets sans cancer du poumon dans près de 15 % des cas. « Cela correspond à la première étape dite d’initiation. La seconde étape, celle de la promotion, nécessite un deuxième stimulus, qui peut être apporté par la pollution, explique le spécialiste. L’exposition aux PM2,5 déclenche une réaction inflammatoire médiée par la voie IL1β, conduisant les cellules préexistantes porteuses de la mutation EGFR à évoluer en cellules cancéreuses. »

Il y aurait peut-être une voie vers un traitement préventif

Pr Alexis Cortot

« Ces résultats nous amènent à penser qu’il y aurait peut-être une voie vers un traitement préventif. L’étude Cantos (4) avait montré qu’un anti-IL1β (le canakinumab) donné chez des patients pour prévenir des récidives d’événements cardiovasculaires diminuait le risque de développer un cancer du poumon, avec un effet dose-dépendant », note le spécialiste. Une biothérapie à l’action anti-inflammatoire pour empêcher la formation des tumeurs ? La piste est ouverte

Entretien avec le Pr Alexis Cortot (CHU de Lille)

(1) Raaschou-Nielsen et al. Lancet Oncol. 2013 Aug;14(9):813-22 

(2) Turner et al. Am J Respir Crit Care Med. 2011 Dec 15;184(12):1374-81

(3) Hill et al. Nature. 2023 Apr;616(7955):159-167

(4) Ridker et al. Lancet. 2017 Oct 21;390(10105):1833-1842

Dr Christine Fallet

Source : Le Quotidien du Médecin