LE QUOTIDIEN : Quel lien observez-vous entre pathologies psychiques et organisation du travail ?
Pr GÉRARD LASFARGUES : Les sciences de gestion apportent des éléments fondamentaux pour comprendre les risques psychosociaux du travail. Les formes de management et les modes d’organisation du travail ont évolué et peuvent influer sur la santé au travail. Les dernières données publiées en 2018 sur les accidents du travail et les maladies psychiques professionnelles enregistrées par la Cnam témoignent bien de la problématique montante de la santé mentale au travail. Des données en cohérence avec celles fournies par des systèmes de vigilance, telles celles du Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P) que coordonne l’Anses, qui a pu enregistrer entre 2001 et 2016 plus de 32 000 pathologies psychiques en lien avec le travail.
Quelles sont les réponses concrètes apportées aujourd’hui par les sciences de gestion ?
Les sciences de gestion apportent des éléments de compréhension sur les transformations des rapports entre acteurs (directeurs, encadrants de proximité, salariés), les formes de management à l’œuvre (lean manufacturing, travail en mode projet, par exemple) et leurs conséquences sur le travail réel. Elles mettent en lumière leurs effets sur la santé, positifs ou négatifs. Les études nous décrivent notamment un certain nombre de caractéristiques des organisations du travail contemporaines, dans le public comme le privé, ayant un impact fort sur le sens du travail des managers et potentiellement sur leur santé psychique, et sur celle des salariés de façon plus globale. D’autant plus dans des situations où l’individualisation du travail amène à un isolement au sein de l’entreprise et où l’utilité ou la qualité du travail fourni n’est plus reconnue par la hiérarchie.
Le télétravail vous semble-t-il une piste pour résoudre ces difficultés ?
Le télétravail se développe de plus en plus, en lien notamment avec les mutations technologiques dans la communication. Ce mode d’organisation, qui pourrait sembler plus confortable pour des salariés, non soumis de façon directe à la pression, peut s’avérer délétère pour la santé, selon son organisation et les conditions dans lesquelles il est effectué. Il ne garantit pas nécessairement un assouplissement de la pression et du stress au travail, peut amener parfois à des situations d’isolement et à des difficultés dans l’accomplissement d’activités qui nécessiteraient des échanges et coopérations directes, et pose la question de l’intrication entre vie professionnelle et vie familiale et des liens avec la santé. Il convient donc d’y réfléchir pour mieux en peser l’utilité, et de débattre de ses conditions, afin que cela puisse être bénéfique pour la santé des salariés.
Quel type d’organisation vous semble particulièrement délétère ?
Le lean management encouragé dans le service public, directement inspiré des modes d’organisation mises en place par l’industrie automobile avec leurs sous-traitants, devient une sorte de modèle dans le secteur des services. Les petites et moyennes entreprises s’en emparent. De grands centres de distribution par correspondance ont par exemple développé ces modes de management où le travailleur doté d’un casque est en connexion directe et permanente avec un serveur qui le guide, lui indique les zones où il va pouvoir prendre les fournitures en un temps record. Les salariés peuvent être mis sur une variété de tâches plus importantes grâce à ce tutoriel retirant toute flexibilité. Le risque, au-delà de l’isolement des travailleurs, devient celui d’une perte de sens du travail, qui peut atteindre l’ensemble des personnes sur ce type d’activités si tout espoir de développer une réflexion collective sur le travail leur est ôté. Nous savons, par les recherches et les témoignages recueillis lors de consultations des médecins du travail, que ces organisations accélèrent déjà les dégâts psychiques chez les salariés.
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