« Les médecins ne prennent pas suffisamment le temps de s’écouter, ni même de s’observer pour conscientiser ce qu’ils vivent : c’est un constat que les thérapeutes qui prennent en charge leurs confrères en burn out font fréquemment. Pourtant, un médecin en souffrance n’est pas en totale disponibilité pour aider ses patients et accueillir leurs difficultés », explique au « Quotidien » le Dr Jean-Christophe Seznec.
« Le médecin en burn out est coincé dans un schéma triangulaire : victime, bourreau, sauveteur. On est médecin 24H/24. Porté par cet engagement existentiel, le médecin bascule vite au statut de sauveteur qui peut le pousser à l’épuisement. »
Cette triangulation, très utilisée en analyse transactionnelle, met en place un scénario relationnel entre trois rôles (réels ou symboliques) qui interfèrent de façon complémentaire. En tant que sauveur, le médecin agit car il se sent absolument obligé d’aider l’autre, il est porté à croire que le patient ne peut pas guérir sans lui : il se sent indispensable et irremplaçable. Mais lorsque le sauveur finit par s’épuiser, il se décrit comme exploité, vidé, il devient lui même une victime (des demandes de ses patients, ou de sa hiérarchie) et un bourreau (pour sa famille, ses proches).
Un arrêt de travail, pour faire le point
« Avant tout, en situation de burn out, l’arrêt de travail est indispensable, car la fatigue physique potentialise la détresse psychologique. Bien sûr, nombre de médecins libéraux disent qu’ils ne peuvent pas suspendre leur activité en raison des charges financières. Pourtant, un arrêt même court est une mesure essentielle pour pouvoir se donner le temps de se recentrer sur soi. Le médecin doit prendre conscience que les soignants fatigués physiquement et moralement ne peuvent plus travailler efficacement. Même avec un désir empathique fort, soigner les patients sans fin jusqu’à l’épuisement sans réfléchir à ses valeurs propres de soignant conduit à l’échec : j’utilise souvent avec les médecins l’image du « tonneau des Danaïdes » ou la métaphore « la dernière personne qui a sauvé des gens par amour était Jésus Christ et il a plutôt mal terminé » », continue le Dr Seznec.
« Pendant ou après la phase de repos physique, des thérapies de type cognitivo-comportementales (TCC) de nouvelle génération (ACT – Acceptation and Comitment Therapy) peuvent être proposées pour permettre au médecin de se recentrer sur lui-même et de faire le point sur sa vie, sur ses buts choisis et non ses actions subies. Ce travail est déterminant. Souvent le médecin doit réapprendre – dans sa dialectique intérieure – à supprimer les phrases « il faut que » ou « je dois » et les remplacer par « je choisis », « je décide ». Pour travailler sans risque de burn out, il apprend à conscientiser les actions qui lui tiennent à cœur (humanisme, soin aux autres), travailler sur ses valeurs propres et ne pas mettre en avant la notion de sacrifice : un arbitrage entre deux valeurs est essentiel. Et pour parvenir à cet arbitrage intérieur, il doit se poser trois questions : « est ce que j’en ai envie ? », « est ce que j’en ai besoin ? », « est ce que c’est adapté à moi ? ». Ces questions revoient au plaisir, aux actions vitales et aux valeurs individuelles. »
L’angoisse par rapport à l’avenir de la médecine
Pourquoi la notion même de brun out n’a-t-elle émergé que récemment chez les médecins ? Pour le Dr Seznec, « la médecine et les patients ne sont plus les mêmes qu’il y a 30 ou 40 ans. Aujourd’hui, les médecins sont très isolés, tiraillés entre leur vie personnelle, leur famille et l’image qu’ils avaient de leur future vie de médecin quand ils ont commencé leurs études. Les soignants doivent en outre subir une incertitude par rapport à l’évolution de leur profession : « quelle médecine pourrais-je pratiquer dans 10 ans ? », « comment savoir à quelles contraintes professionnelles je serai soumis à l’avenir ? », « comment vont évoluer les relations médecins-patients-administration ? ». En effet, la médecine est particulièrement attaquée. Le médecin est harcelé par des contraintes administratives et par les demandes des tutelles qui le mettent en porte à faux par rapport à son éthique et ses valeurs. La relation patient-médecin qui est le pivot du soin est malmenée ce qui met en tension le soignant. Il se retrouve de plus en plus prolétarisé par une tentative d’industrialisation de sa pratique alors que le soin se base sur le colloque singulier avec le patient. Cette maltraitance, cette non-reconnaissance est vécue comme une perte de dignité. Le cerveau émotionnel tente de résoudre le problème en produisant des pensées qui vont devenir des ruminations faisant le lit de la dépression. Notre esprit produit des pensées mais nous ne sommes pas nos pensées : toutes nos pensées ne sont pas des vérités. Le médecin doit apprendre qu’il y a deux zones de production de pensées : l’être que je suis et le cerveau émotionnel. Souvent lorsque l’homme est en danger ou dans une situation d’urgence, le cerveau émotionnel est au premier plan. »
Être libre d’être médecin ou non
Alors, les thérapies comportementales constituent-elles la solution unique et universelle contre le burn out des médecins ? « Aucune solution n’est applicable à toute une profession. Il n’existe pas de potion magique contre le burn out : l’ACT thérapie n’enlève pas les angoisses existentielles, elle permet de faire des choix et d’adopter un mode d’exercice plus conforme à ses valeurs individuelles. La souffrance dépend de chaque cas, du contexte familial et social, explique le Dr Seznec. Je dis souvent aux médecins qu’ils sont libres de faire ce métier-là ou un autre, mais que chaque choix a des avantages, des inconvénients, un coût et un risque… Quel choix faites-vous ? Est-il fonctionnel en fonction de ce qui est important pour vous dans ce contexte ? Dans cette période d’incertitude sur l’avenir de la médecine, les thérapies ACT permettent de naviguer « vague après vague », de « surfer », en tenant compte de son contexte personnel et en s’adaptant aux modifications sociales et sociétales. »
Livre : « ACT : applications thérapeutiques », Dr Seznec, Éditions Dunod
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