« Les médecins – tout comme leurs hiérarchies en établissements de soins – sont peu enclins à se préoccuper des risques dans l’exercice de leur profession. Pourtant on concentre sur ce travailleur une multitude de risques (chimiques, physique, biologiques, psychologiques…) qui peuvent se potentialiser pour induire des pathologies professionnelles », explique au « Quotidien » le Pr Alexis Descatha, spécialiste des pathologies professionnelles (Garches).
Il ajoute que « soigner un confrère n’est pas une chose simple pour le médecin du travail : loin de la complicité que l’on pourrait imaginer, il se confronte à un confrère qui lui renvoie sa défiance, sa remise en question des diagnostics ou des traitements et qui recherche avant tout une solution "miracle" pour retrouver au plus tôt son poste. Or prendre en charge une pathologie liée au travail nécessite une participation active de la personne et une adaptation de son environnement. »
10 ans de retard dans les techniques de management hospitalier
« Pour comprendre pourquoi le médecin est aussi réticent à prendre en compte les risques liés au travail, il faut revenir aux fondamentaux des études médicales. Le médecin est doté d’une psychologie particulière : on ne fait pas ces études par hasard. Et tout le long des années d’études, les cours sont dispensés par des hospitalo-universitaires qui valorisent les longues heures de travail sans prendre en compte les effets négatifs de ce travail extensif », continue le Pr Descatha.
« Lorsqu’ils ont fini leurs études, deux possibilités sont offertes aux médecins : la médecine libérale sans assurance contre les risques professionnels et les accidents du travail ; ou bien les établissements de soins dont les principes de management hospitalier ont dix années de retard au moins sur les États-Unis. Il faut espérer que bientôt en France on comprendra qu’épuiser la matière première – c’est-à-dire les soignants – est contre-productif en terme de rentabilité et de compétences ».
Le premier recours des médecins salariés confrontés à une pathologie liée au travail reste principalement son médecin traitant, un médecin spécialiste et le médecin du travail de l’établissement où il exerce. Lorsque ces intervenants l’estiment nécessaire – et parfois à la demande du médecin malade lui-même –, une consultation spécialisée peut être proposée. En France, il existe près de 30 unités de pathologies professionnelles dans les hôpitaux, où exercent des intervenants spécialisés dans la prise en charge de risques spécifiques qui peuvent être sollicités pour une analyse des conséquences médico administratives de la maladie et la mise en place de mesures de prévention secondaires et tertiaires.
Une surcharge psychologique liée au travail plutôt qu’un burn-out
« Quand le médecin en charge des pathologies professionnelles propose au médecin de s’occuper de lui, il se heurte au mieux à une incompréhension, au pire à de l’agressivité. Et c’est vrai que les médecins supportent plus que bien d’autres professionnels une charge de travail particulièrement élevé. Il faut dire qu’ils y trouvent une reconnaissance de la part des patients et de la société. C’est quand cette reconnaissance est remise en question par l’isolement, une plainte de patient ou un vécu difficile dans la famille, que tout peut s’écrouler. Et là, il ne s’agit pas d’un burn out – pathologie liée à une surcharge de travail – mais plutôt d’une surcharge psychologique liée aux conditions de travail, ce qui représente plus de 90 % des recours aux consultations hospitalières de pathologie professionnelles pour les médecins », analyse le Pr Descatha.
Sortir du système effort/récompense
« Pourtant, le médecin soumis à une pression psychologique a le plus souvent toutes les cartes en main pour sortir de cette impasse : il doit apprendre à dire non, à ne pas se laisser envahir par son travail et à ne plus penser de façon systématique selon un modèle "effort-récompense". Enfin, lorsque la situation l’impose, un reclassement professionnel est toujours possible pour les médecins puisque l’éventail des possibilités offertes est particulièrement large. C’est aussi l’un des rôles des médecins spécialisés en santé au travail qui doivent pouvoir orienter leurs confrères malades vers des formations ou des nouvelles opportunités qui correspondent à leurs souhaits professionnels », conclut le Pr Descatha.
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