Le 10 octobre 2017, Jessica Stipe, une habitante de Gainsville en Floride a pris rendez-vous dans un centre de soins d’urgence car elle se sentait « sévèrement malade ». Elle s’est présentée à l’heure convenue soit 18 h 30 et elle a payé d’avance les 80 dollars de sa consultation. Le personnel d’accueil lui a demandé d’uriner dans un pot et de patienter dans la salle d’attente.
À 19 h 45, Jessica Stipe demanda à l’agent administratif un remboursement car d’après elle « elle était trop fatiguée et trop mal pour attendre. Elle préférait rentrer chez elle et dormir ». Devant son insistance, le médecin, le Dr Peter Gallogly a été appelé. La suite, on peut la voir sur le compte Facebook de la patiente puisque sa fille a filmé avec son Smartphone l’altercation qui a suivi. La vidéo a été visionnée près de 650 000 fois.
Investigation criminelle
Le Dr Gallogly explique qu’il avait effectivement du retard, mais que les paramètres vitaux de la patiente avaient été recueillis et qu’une analyse d’urine avait été effectuée. Il ajoute qu’il lui reste encore 7 patients dans des box. Puis il s’emporte : « Vous pouvez aller dans un autre centre de soins sans rendez-vous et attendre 3 heures, ou aller aux urgences et attendre 9 heures. Vous pouvez aussi reprendre votre argent et sortir d’ici. » S’apercevant qu’il est enregistré, il récupère le portable de l’adolescente qui filmait.
C’est ce dernier geste – que la mère qualifie de violent – qui a donné lieu à une « investigation criminelle » de la police locale. Jessica Stipe annonce fièrement sur sa page Facebook, que le médecin a en outre fait l'objet d'un signalement à l’équivalent local de l’Ordre des médecins, et au Comité d’éthique.
Le Dr Gallogly s‘est publiquement excusé, a expliqué que son comportement était irrecevable. Il a néanmoins ajouté que la vidéo n’était qu’un reflet partiel des évènements et que Jessica Stipe avait auparavant menacé physiquement les employés du cabinet et le praticien lui-même.
Traces physiques et morales
Mais pour les soignants américains – et dans le contexte de « libération » de la parole à la suite des récentes « affaires » de harcèlement sexuel – l’affaire Stipe est l’occasion d’appeler à résister contre les agressions de tous types : verbales, physiques ou virtuelles sur Internet. Le hashtag #silentnomore a été repris pour dénoncer les violences faites aux soignants car « elles laissent des traces physiques et morales indélébiles ».
Et les médecins et infirmières ont pris la parole : des cas de violence sont détaillés avec des mots qui sonnent vrais qui parlent de peur, peur des soignants, mais aussi peur des autres patients dans les salles d’attente.
Jusqu’à présent, les médecins américains étaient assez réticents à exposer leurs difficultés avec les patients, car même employés d’une structure de soins, leurs honoraires restent en partie liés à leur activité. Les infirmiers étaient plus enclins à prendre la parole.
Désormais certains praticiens osent dire que des patients ont des attentes peu réalistes en matière de soins et que les médecins sont confrontés à une obligation d’efficience et de productivité, deux caractéristiques d’une médecine loin d’être humaine.
80 % des IDE américaines agressées au moins une fois par an
Pourtant la violence faite aux soignants aux États-Unis n’est pas un fait nouveau. En 2014, une enquête relayée par la revue Scientifc American montrait que les soignants étaient la profession la plus à risque d’accident de travail lié à la violence et à l’origine d’arrêts de travail. Des organisations professionnelles avaient demandé aux infirmières si au cours des 12 derniers mois, elles avaient été frappées, menacées, harcelées ou poussées à bout par des patients. 80 % d’entre elles avaient répondu que c’était le cas. Et pourtant, elles expliquaient que rien n’était fait par leurs employeurs pour éviter cette violence, « à croire que culturellement, la violence fait partie du travail des soignants ». La présidente de l’Association nationale des Infirmières estimait que « les plaintes vont directement du lit du patient vers les services judiciaires sans passer par l’administration, pire l’administration semble même blâmer plus souvent que soutenir les infirmières en cas de violence ». Or, ce sentiment d’abandon est vécu par les soignants comme un motif de désimplication dans leur travail. La prise en charge de la violence n’est pas abordée dans les études des infirmières ou des médecins aux États-Unis, sauf dans certaines spécialités telles que l’addictologie ou la psychiatrie.
Après cette enquête, l’Ordre des infirmières aux États-Unis a proposé un module de formation gratuit en ligne qui est suivi chaque année par 8 000 personnes. Est-ce suffisant ? On ne le saura jamais puisque le gouvernement américain ne collecte pas de statistique sur les violences faites aux soignants.
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