Le Quotidien : En tant que pilote de chasse, aviez-vous déjà pensé qu’il existe des similarités entre votre métier et celui de chirurgien ou de médecin ?
Jean-Pierre Henry : L’aéronautique, la médecine, le nucléaire, la chimie ont en commun de représenter des environnements à risque. Dans ces métiers, les professionnels travaillent sur le fil du rasoir avec une composante temporelle significative : en quelques secondes tout peut déraper. La littérature scientifique fait souvent le parallèle entre ces différents systèmes à risque.
J’avais pris conscience de la similarité entre les métiers de pilote et de chirurgien lorsque j’ai exercé le rôle de responsable de la sécurité aérienne et de la gestion des facteurs humains au sein d’une base aérienne de l’armée de l’air.
Le Quotidien : Comment avez-vous tissé des liens avec les formateurs de l’école de chirurgie de Nancy ?
J-P. H : Passionné par la gestion des systèmes à risque, j’ai eu l’occasion de rencontrer un chirurgien urologue, le Pr Jacques Hubert, qui est venu sur la base aérienne de Nancy étudier l’utilisation des simulateurs de vol par les pilotes de chasse. Il avait mis en place un diplôme interuniversitaire (DIU) de chirurgie robotique, disposait de simulateurs, mais était confronté à un manque de ressources humaines pour proposer un compagnonnage des jeunes chirurgiens par des opérateurs plus expérimentés. Il avait dans l’idée qu’il était possible de « pousser les murs » de l’apprentissage en médecine.
Le Pr Hubert a découvert dans le centre de simulation de l’armée de l’air que les pédagogues sur simulateurs n’étaient pas eux-mêmes des pilotes, mais des sous-officiers formés aux gestes techniques supervisés par des experts. On peut faire le parallèle entre cette approche et le domaine sportif : le coach de l’équipe doit connaître tous les gestes, mais il n’y a aucune raison qu'il pratique le sport lui-même. Il doit être capable de transmettre la gestuelle aux autres. Cette approche pédagogique permet même un meilleur résultat, puisque les formateurs experts des robots et les chirurgiens experts de la pathologie ne sont pas en compétition.
Le Pr Hubert a imaginé que proposer une approche de ce type en chirurgie pourrait permettre de pallier les insuffisances de ressources en chirurgiens seniors.
Il a aussi pris en compte l’importance de travail en équipe, alors que bien souvent les chirurgiens estiment que seule leur habileté technique est garante de la réussite de l’intervention. Or, en aéronautique, les simulateurs ont montré que les performances en synergie d’équipe sont systématiquement meilleures que les résultats individuels. En médecine aussi, le travail en équipe est plus efficient.
Faire accepter à la fois la formation par des techniciens non médecins et la recherche de synergies a été un véritable changement de paradigme pour les chirurgiens.
Le Quotidien : Comment avez-vous intégré l’école de chirurgie de Nancy sans avoir reçu aucune formation médicale spécifique ?
J-P. H : Le Pr Hubert a cherché au sein de l’Université et l’hôpital des ressources en interne qu’il n’a pas trouvées. Il s’est adressé à l’Incubateur Lorrain, structure de l’Université de Lorraine qui a pour vocation de valoriser les travaux qui peuvent donner lieu à création de sociétés exploitante valorisant les fruits de la recherche française. J’ai accepté de prendre la tête du projet.
Aujourd’hui, au sein du STAN Institute, nous formons des chirurgiens qui exercent dans le domaine public, privé ou à l’étranger.
La formation diplômante à l’utilisation des robots chirurgicaux est dispensée à partir de prérequis en e-learning suivis d’une semaine complète sur simulateurs et robots, avec des exercices à difficulté croissante et d’interventions sur des modèles animaux ou des pièces anatomiques.
À l’issue de notre formation, nous encourageons vivement les chirurgiens à utiliser la technique dans leur établissement au plus tôt pour ne pas perdre les habiletés techniques qu’ils ont développées à nos côtés.
Le Quotidien : Quelle est votre analyse de la formation des chirurgiens, vous qui venez d’un milieu très différent de celui de la médecine ?
J-P. H : Je n’avais pas de préjugés en intégrant ce milieu. La première chose qui m’a surpris c’est que tous les chirurgiens ont le droit d’utiliser un robot chirurgical même s’ils n’ont pas été formés spécifiquement à cette technique. Une telle situation ne se retrouve jamais en aéronautique
L’autre surprise vient de la durée des études – et leur coût - avant la mise en situation. Si l’apprentissage de la médecine était calqué sur celui des pilotes d’avion, la formation initiale serait limitée dans le temps et fondée sur l’utilisation intensive de simulateurs : 5 ans seraient suffisants pour l’acquisition des gestes de base. Mais ces premières années devraient être suivies d’un réel effort de formation continue, de certification technique et de recertification régulière comme on le demande aux pilotes d’avion.
Aujourd’hui, en France, tout l’effort est concentré sur la formation initiale ; et la formation continue est le parent pauvre laissé à la charge financière des chirurgiens.
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