La santé des médecins

Pr Sébastien Guillaume : "Pour que l’erreur médicale ne conduise plus au suicide"

Publié le 19/10/2015
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LE QUOTIDIEN : Quelle a été la genèse de ce dispositif ?

Pr SÉBASTIEN GUILLAUME : En 2010, le suicide d’un anesthésiste montpelliérain [lire aussi encadré] a fortement mobilisé la communauté médicale et paramédicale. C’est en réponse à cette mobilisation que la direction générale et la CME (Commission médicale d’établissement) ont mis en place un dispositif de réflexion autour de l’accompagnement des soignants face à l’erreur médicale.

Le dispositif d’accompagnement des professionnels est l’une des mesures mises en place à la suite de cette phase de réflexion. D’autres pistes de travail ont aussi été suivies : analyse du cheminement et du suivi de l’erreur, incitation au signalement d’événements indésirables (par le biais de campagnes auprès des salariés), formation initiale et continue… À titre d’exemple, depuis la rentrée 2011, les facultés de Montpellier-Nîmes, Nice et Marseille ont mis en place un diplôme interuniversitaire sur la gestion de l’incident, l’accident et l’erreur médicale.

Le dispositif d’accompagnement est un projet commun de l’administration, des paramédicaux et des médecins. Il est piloté par un trinôme : une directrice des soins (Madame Maria Horwath), un administratif (Madame Emilie Garrido-Pradalié) et moi-même qui assure la coordination médicale en lien avec mon exercice de psychiatre. Nous disposons d’un indépendance totale vis-à-vis de l’administration et des instances disciplinaires qui ne sont pas informées de l’identité des personnes qui font appel à nous, ni du contenu des entretiens.

Quel est le but de ce dispositif d’accompagnement ?

Ce dispositif anonyme n’a pas comme finalité le signalement de l’incident, mais il a pour but l’accompagnement par ses pairs – hors du circuit administratif – d’un soignant en souffrance dans les suites d’une erreur médicale. Le dispositif est ouvert aux médecins, aux paramédicaux et de façon plus globale à toute personne qui travaille au CHU de Montpellier (récemment, un informaticien a été accueilli).

En pratique, un numéro de téléphone est accessible à toute personne qui se sent concernée par la problématique de l’incident lié aux soins et qui est en recherche d’aide ou d’écoute. Des campagnes d’information ont lieu régulièrement au sein du CHU et je veille moi-même à informer chaque nouvelle promotion d’internes sur ce dispositif. L’accès à l’aide par les pairs est tout à fait indépendant du signalement d’événements indésirables.

Une secrétaire formée aux techniques d’écoute répond à cette ligne dédiée et elle a pour mission de faire détailler la situation afin de s’assurer qu’elle entre bien dans le cadre du dispositif : erreur médicale ou incident lié aux soins et non souffrance au travail.

Cette secrétaire contacte ensuite la personne-ressource qui semble être le plus à même de répondre à l’appel et lui demande de rappeler le salarié pour convenir d’un rendez-vous.

Il est possible que la personne-ressource donne les coordonnées de certains professionnels (avocat, service juridique de l’hôpital…) mais c’est au demandeur de rentrer en contact s’il le souhaite avec ces personnes.

La personne-ressource débriefe ensuite avec le trinôme pour s’assurer, par exemple, que la situation a été bien prise en main et qu’il n’existe pas d’état suicidaire qui justifie une consultation avec un psychiatre.

Les 22 personnes-ressources volontaires sont des salariées du CHU : psychologues, IDE, informaticiens, médecins (toutes sensibilités médicales sauf la chirurgie), administratifs…

Elles ont été formées au dispositif en deux séminaires de 3 jours : techniques d’écoute, psychopathologie (repérer les difficultés qui nécessitent de réorienter vers un psychiatre ou un psychologue), aspects techniques et administratifs (cheminement de l’erreur médicale dans l’institution), place du service qualité, juridique…

Tous les six mois, des séminaires sont proposés aux personnes ressources afin de reprendre les situations passées dans les mois précédents et se reformer à des aspects particuliers psychothérapiques.

Quel est le bilan des premiers mois de fonctionnement du dispositif ?

Le dispositif a été mis en place début 2013. Depuis cette date, une quarantaine de salariés y ont fait appel. Leur nombre augmente régulièrement car les premiers retours ont validé cette approche et désormais, les soignants savent quelle aide rechercher auprès du dispositif.

Au début nous n’étions contactés que dans était des situations extrêmes : décès, conséquences graves… Ce n’est plus le cas maintenant : le dispositif a été apprivoisé par les soignants et ils savent qu’ils peuvent lui faire confiance car l’anonymat est respecté. Nous souhaitions qu’un nombre de plus en plus important de salariés adhérent à notre approche et nous sommes satisfaits de l’évolution de notre dispositif.

Propos recueillis par le Dr I. C.

Source : Le Quotidien du Médecin: 9442
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