LE QUOTIDIEN : Aujourd’hui, on parle de burn out dans tous les métiers. Le burn out des soignants a-t-il des caractéristiques particulières ?
Dr MARIE-FRANCE HIRIGOYEN : Le burn out est un concept très controversé qui se situe à la croisée de l’individuel, du collectif et de l’organisationnel. Le burn out – ou épuisement professionnel – est une notion encore floue qui n’a pas de définition sur le plan scientifique. Il n’est pas répertorié dans la classification des maladies. C’est une pathologie de l’adaptation sans fin et du manque de sens, une pathologie du « trop ».
Le burn out a été étudié initialement à propos de soignants qui étaient hyperinvestis dans leur travail.
Hebert Freudenberger, un psychiatre américain a décrit le premier cette notion dans les années 1970. Ce médecin travaillait bénévolement en plus de son travail dans une « free clinic » et prenait en charge des toxicomanes. Pour décrire son état d’épuisement, il avait choisi de faire un parallèle avec l’état des toxicomanes vaincus par l’usage trop intense de drogues dures.
Il a, le premier, proposé une définition du burn out : « état de fatigue chronique, de dépression et de frustration causé par le dévouement à une cause, à un mode de vie ou à une relation qui échoue à produire les récompenses attendues et conduit en fin de compte à diminuer l’implication ».
Médecin est donc une profession à risque spécifique de burn out ?
Être médecin, c’est être soumis à de fortes sollicitations mentales, émotionnelles et affectives et s’occuper des autres. Mais c’est aussi un métier qui a du sens. Le risque pour un médecin serait de s’oublier et de ne pas reconnaître que lui-même peut aller mal. Beaucoup de médecins ne savent pas se fixer de limites et repérer les premiers signes de surmenage. Lorsque les premiers signes de burn out surviennent, beaucoup sont dans le déni et continuent à travailler sans se remettre en question.
Comme les médecins n’ont généralement pas de médecin référent et qu’ils s’autoprescrivent les examens, les médicaments ou les soins, les signaux d’alertes ou de dépistage ne fonctionnent pas. Or si quelqu’un n’intervient pas de l’extérieur, il n’y a pas de raison que ça s’arrête. Et lorsqu’ils consultent, leur pathologie est déjà très avancée.
Le risque de burn out des médecins est-il plus important aujourd’hui que 20 ans auparavant ?
Il y a 20 ans on ne parlait pas de burn out. Les médecins travaillaient beaucoup mais, comme ils étaient des notables, ils trouvaient une reconnaissance sociale à leur travail. Mais ce n’est plus le cas, les patients estiment que les médecins doivent être toujours présents, infaillibles, prescrire les traitements qu’ils souhaitent, sous peine de changer de médecin. Il n’y a plus de retour narcissique dans cette profession. Certains praticiens sont même aussi en difficulté financière. Cette disqualification symbolique est à l’origine de souffrance chez les soignants.
Aujourd’hui, le métier des médecins est difficile car leurs objectifs théoriques sont difficiles, voire impossibles à réaliser. Il faut avoir en tête que le métier de médecin est un métier où l’on est en permanence en position d’impuissance vis-à-vis de la maladie, de la mort, des demandes des patients de plus en plus exigeants ou agressifs, des objectifs des tutelles qui parlent de rentabilité en médecine, des contraintes administratives qui n’ont pas de sens… Accepter son impuissance c’est difficile.
Le problème actuel des médecins c’est qu’ils sont noyés dans de plus en plus de tâches administratives, de formatage, d’objectifs et qu’ils ont le sentiment de perdre du temps qu’ils préféreraient consacrer à leurs patients. Au fond ils ont aussi l’impression de perdre leur liberté.
Tous les médecins sont-ils à très haut risque de burn out ?
Il y a des personnes plus à risque et leur profil est proche de celui des victimes de harcèlement. Il s’agit de personnalités perfectionnistes, ayant des idéaux de performance et de réussite et qui lient leur estime de soi à leurs performances professionnelles.
On demande en permanence d’aller vite, de faire plus avec moins, c’est-à-dire de bâcler le travail, ce qui rend « malades » les perfectionnistes. On peut se demander si, dans le travail, être perfectionniste et consciencieux ne serait pas devenu un problème ?
Être soignant de soignant en burn out
« Les confrères en burn out viennent me consulter parce qu’ils savent que j’ai déjà travaillé sur cette problématique. Ils estiment en outre que, parce que je suis médecin, je peux comprendre certaines de leurs difficultés en tant que soignant (par exemple ne pas pouvoir s’arrêter de travailler).
L’arrêt de travail est théoriquement essentiel mais lorsqu’il est impossible, il est important de ne pas rajouter une violence supplémentaire en le leur imposant. Il est beaucoup plus constructif de négocier : moins d’heures de travail, plus de remplacements… Quel type de thérapie est adapté au burn out des médecins ? Celle qui est la plus adaptée à l’individu, car le burn out est lié à la personnalité.
Dans un premier temps, il est habituel de proposer des thérapies pratiques d’échanges, de bon sens en tenant compte du contexte (hospitalier, libéral, généraliste, spécialiste, contraintes de l’environnement familial et social). Ce temps est nécessaire pour que la personne récupère.
Quand le déni est levé, que la personne a reconnu ses fragilités, on peut travailler à déterminer ce qui l’a entraîné à ne pas savoir fixer ses limites, à ne pas dire non. En travaillant sur ces éléments-là, on permet à la personne renforcer son identité. Quand le patient se connaît mieux, il peut mettre en place les stratégies qui lui permettront de ne pas retomber dans les travers du burn out par la suite. »
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